
encre sur papier Japon / marouflage, 30×30 cm, année 2014
Cette page et ces dessins doivent leur existence à la découverte d’une peinture faite lors d’une visite au Musée lorrain de Nancy, il y a quelques années. Un portrait de petite fille âgée de XIII mois y retint longtemps mon attention. Elle est représentée dans ses habits bleus de princesse, et tient dans sa main droite un petit oiseau (un jouet en bois !). Elle nous fait face, les bras légèrement écartés le long du corps dans une posture de grande attention. Mais ce qui surprend le plus est son regard : des yeux qui nous fixent avec sérieux et détermination, quand nous attendons d’y trouver encore une douceur et une innocence enfantine.
Une notice sous le cadre m’apprend qu’il s’agit de Nicole, duchesse de Lorraine, fille du duc Henri II (1608-1657). C‘est une enfant de la lignée complexe des familles ducales de Lorraine, portraiturée sur toile
par un peintre demeuré anonyme. Mais qu’est-ce vraiment que l’innocence enfantine au temps de Jacques Callot qui témoignera quelques dix plus tard dans ses gravures des désastres de la guerre de Trente Ans qui ravagera les terres de Lorraine ?
Nous la retrouvons plus âgée dans un second portrait daté du second quart du XVIIe siècle, également œuvre d’un peintre anonyme. Enchâssé dans un ovale, son buste de jeune femme émerge d’une curieuse architecture géométrique, le corps corseté de lignes obliques qui convergent vers ce point noir et lourd au centre de la poitrine. Une expression de profonde mélancolie habite ce second portrait non daté. Seul repère, cette mention en bas du cadre qui la désigne « Madame Nicole de Lorraine, duchesse de Lorraine et du Barrois » pendant un très court règne de seize mois, point d’orgue d’une vie très chaotique.

encre sur papier Japon / marouflage, 30×30 cm, année 2014

encre sur papier Japon / marouflage, 30×30 cm, année 2014
Il me sera possible d’en savoir un peu plus sur le destin de cette jeune enfant.
Les ouvrages historiques abondent sur ce tragique dix-septième siècle en Lorraine (*). Après la visite du musée, va persister longtemps en mon esprit ce visage enfantin de Nicole de Lorraine, sous les traits d’une présence mêlant en un obscur désordre la physionomie de l’enfant et de la femme – à la manière d’un personnage héros d’une biographie que je serais en train de lire.
Mais comment m’approprier par le dessin la vision fantasmée de ce regard énigmatique ?
Ces quelques croquis, parmi d’autres, que je présente ici, sont à considérer comme des exercices graphiques d’un vagabondage autour de ce regard lointain, qui a heurté mon propre regard. Ici, pas de trait minutieux de dentelle ou de tissu précieux, mais le parcours indécis d’une plume ou d’une pointe de calame trempée dans l’encre de Chine, à la recherche d’une consistance de forme qui n’a obéi qu’un un seul précepte formel : commencer le dessin par un tracé des yeux, ouverts ou fermés, et tout autour de ce point d’ancrage, dérouler d’un trait noir fugace et incertain la mémoire d’une silhouette d’enfant princesse et duchesse croisée un jour dans un musée.

encre sur papier Japon / marouflage, 30×40 cm, année 2014

encre sur papier Japon / marouflage, 30×30 cm, année 2014

encre sur papier Japon / marouflage, 12×12 cm, année 2014

encre sur papier Japon / marouflage, 12×13 cm, année 2014

encre sur papier Japon / marouflage, 24×30 cm, année 2014

encre sur papier Japon / marouflage, 30×30 cm, année 2014
(*) Plusieurs sources m’ont renseigné sur le destin funeste de Nicole de Lorraine (en particulier Pauvres duchesses, l’envers du décor à la Cour de Lorraine, par Jacqueline Carolus-Curien – Editions Serpenoise) :
Fille d’Henri II, duc de Lorraine et de Bar, et de Marguerite de Mantoue, elle est née en octobre 1608, deux mois après la fin des interminables pompes funèbres de son grand-père Charles III, cérémonie rituelle (**) dont la magnificence devait montrer à l’Europe entière la puissance de la Maison de Lorraine. Duchesse héréditaire du pouvoir, elle fut mariée à 12 ans, par intérêt dynastique à son brutal cousin germain le duc Charles IV qui n’aura de cesse de s’en débarrasser comme épouse pour accroître son pouvoir (jusqu’à faire condamner à mort pour sorcellerie, et sans preuve, le pauvre prêtre qui l’avait baptisée, afin d’annuler le mariage). Et puis Guerre de Trente ans, épidémie de peste, ruines et ravages des campagnes et des villages… Elle eu même droit, de son vivant, à une cérémonie solennelle de son époux en hommage à sa mémoire ! Répudiée, bafouée, chassée de la Lorraine en 1634, elle vivra une retraite de plus en plus solitaire à Paris jusqu’à sa mort en 1657.

Nancy, Musée lorrain.
(**) Cette thématique graphique de la Pompe funèbre de Charles III gravée par Friedrich Brentel m’inspirera plusieurs suites de gravures et dessins.
Voir articles :
APOTHEOSE EN NOIR ET OR
LES BAS ROUGES
CHEVALERIE















































































