14-18 : une chronique ordinaire en Anjou (partie 3)

… suite

    Déjà 17 mois de conflit. L’envoi des vœux pour la nouvelle année 1916 est assorti pour tous, famille et amis, d’une même imploration : que cette guerre affreuse finisse !

    Ainsi les vœux d’Eugénie à sa sœur Augustine : ce serait bien à désirer que l’on se réunisse tous bientôt car depuis le temps que cela dure c’est décourageant de ne jamais voir la fin (01/01)…)
Augustine à Joseph : En même temps qu’à toi, j’envoie une carte à ton camarade qui écrit pour toi. Tu me dis mon cher Joseph que tu es à 7 ou 8 kms du régiment, tu serais bien aimable de me dire si le régiment est dans les tranchées. Tu m’as bien dit que tu changes  mais tu ne m’as pas dit si ton régiment retournait au front et en ce moment il y en a beaucoup qui sont au repos (…) Je termine en t’embrassant bien des mille fois mais malheureusement de bien loin. Espérons qu’un jour viendra où nous aurons le bonheur de s’embrasser de plus près (…)(30/01).

 les alliésCarte envoyée à Augustine pendant la bataille de la Somme (coll. Part).

    Les cartes postales sont très rares. Egarées sans doute. J’ai juste trouvé une carte de Maître M. à Augustine qui souhaîte sa fête, en quelques mots : j’aurais bien voulu être dans un patelin pour vous choisir une belle carte (…) mais vous savez dans nos tranchées nous avons de maigres choix…(25/08).
Une carte de sa sœur Ernestine M. : mon cher Henri est arrivé en permission mercredi jour de Toussaint. Je t’assure que cela m’a beaucoup surpris car je ne m’y attendais pas du tout. Et pourtant, il n’y a pas longtemps qu’il était rendu. Je n’avais pas de nouvelles depuis 8 jours, j’étais même bien inquiète. Comme il était à l’attaque de la Somme avec plusieurs de ses camarades blessés, je me demandais si j’aurai le bonheur de le revoir. Enfin c’est beau de les voir arriver, mais il faudrait que ce soit pour toujours, mais malheureusement on n’en voit jamais le bout. Mon pauvre Henri est reparti d’hier soir loin de le (vouloir) car il en a vu de rudes (20/11).

    En décembre 1916 je retrouve la trace d’affectation de Joseph au 270 de ligne, train régimentaire, secteur 74.
La carte d’anniversaire d’Augustine à Joseph est empreinte de tristesse: mon cher ami, qui donc aurait quelquefois pensé qu’à l’âge de 41 ans on nous aurait imposé un pareil passage. Dire que voilà 28 mois que nous passons éloignés de nos plus chers et vous voir, souvent au risque de votre pauvre vie. Enfin bien cher petit ami j’espère et je désire de tout mon cœur qu’à l’âge de tes 42 ans, nous aurons le grand bonheur d’être réunis pour y vivre encore de longues années (04/12).

    Et puis… Une pointe d’humour soudain, dans une correspondance d’Augustine à son mari. Elle est rare et la voici dans son entier : nous avons pourtant de grands ennuis et guère envie de dire de blagues mais quelquefois il le faut tout de même : hier soir mes chers amis Louis M, sa femme Marie et le petit Armand sont venus me trouver dans l’ouche. Presqu’aussitôt leur arrivée s’est amené un vol de perdrix, Louis les a approchées et (…) les a tirées en vol. Et nous voyons cette petite malheureuse descendre, et moi je n’avais encore jamais vu un pareil coup de si près. Louis en revenant près de nous m’a dit de (t’écrire) qu’il ne pense pas que tu en avais fait autant pendant ta permission. Tu vois comme ils sont aimables, ils me l’ont donnée pour toi et le soir même ils sont revenus veiller tous les trois et ça m’a fait grand plaisir et bien désennuyée car le temps est bien long. Et cette chère Marie m’a dit de ne pas oublier de te dire que son mari avait tiré un coup devant moi, un coup de fusil, ne pense pas autre chose… Allons mon bien cher petit ami, rigole un peu ainsi que ton cher camarade pour votre Noël car il me semble que vous êtes comme moi et que cela ne vous arrive pas souvent… Le lundi soir les oreilles auraient dû te sonner car nous avons beaucoup parlé de toi (21/12).

bebes

Le thème de l’enfant est fréquent sur les cartes, mais j’avoue que le message de celle-ci m’échappe !
Faudrait-il attendre que ces bébés deviennent soldats pour arracher enfin la victoire !

    A l’approche de 1917, à nouveau les vœux de bonne année, mais encore plus désenchantés de la part de nos poilus, dont l’espoir le plus fort est de survivre à cette sale guerre qui n’en finit pas : il y a encore des dures journées à passer, mais il faut espérer qu’on les passera comme cette année du mieux que l’on pourra puisqu’on ne peut nous en empêcher (…)(à sa sœur Augustine,carte d’Henri depuis Vousmitrey, secteur 164, le 27/12/1916).
… Puisque nous ne pouvons encore pas faire mieux pour les étrennes, je t’envoie encore cette petite carte pour répondre à ton aimable lettre que j’ai reçue hier (…). Je t’écris cette carte à 11 heures. Mon carré de litière vient d’arriver. Cette fois j’en ai pour 27 francs. Je crois qu’il y en aura bien gros à couper, ce qui m’ennuie (…)(Augustine, 29/12).
Augustine qui reçoit d’Aubigné les vœux de Françoise B. : Henri me dit qu’il a grand peur d’être changé d’affectation. Il a le regret de ne pas avoir d’enfants. Je voudrais, moi, avoir une demi-douzaine d’enfants pour avoir mon mari auprès de moi. Que je me fais d’ennui de ne pas avoir de gosse. Je sais que ça me désennuierait, ça fait une distraction (30/12)

  Dans les manuels d’histoire, l’année 1917 est décrite comme une année trouble. L’ensemble des troupes est en colère et en plein désarroi face aux terribles pertes des combats dont on ne voit pas l’issue. Les journaux relaient la lassitude et l’échec des gouvernements. L’impatience de la population civile s’accroît. Elle est touchée de plein fouet par les rigueurs de la guerre, fatiguée et exsangue. Un courrier trop rare de Joseph ne permet pas de percevoir une ambiance délétère au front. Mais les cartes de Joséphine traduisent bien ce climat de plus en plus dépressif : la surcharge de ses labeurs quotidiens, mais plus viscéralement encore la lassitude extrême dans l’attente du retour au pays de Joseph, ou même d’un simple mot sur une carte qui la persuade qu’il est toujours vivant…
… Que donc cela veut dire que je ne reçoive plus rien de toi ? Es-tu malade ou t’est-il arrivé malheur ? C’est-il triste d’être si loin de toi et de ne pouvoir voir ce qui se passe. Je vis dans une grande inquiétude. Mon bien cher ami, je te prie, fais moi écrire ou toi-même envoie-moi quelque chose si tu le peux, car que je suis malheureuse… Je n’ai rien reçu depuis ta lettre du 15 (Augustine, 23/01/1917),

…Que tu me fait d’ennui et de peine de ne pas me donner de tes nouvelles. Que cela veut-il dire : depuis 15 jours je n’ai rien reçu de toi (…) Plus tu vas, plus tu me laisses dans l’ennui. Mets toi donc à ma place si tu étais 15 jours sans recevoir de mes nouvelles, que je serais comme toi au danger, que penseras-tu de moi. Pourtant moi je te donne des miennes, toujours tous les 2 jours. Je ne te demande pourtant pas l’impossible, seulement que quelques lignes afin de savoir l’état de ta santé, mon petit ami (24/04).

… Moi je ne fais que travailler tous les jours alors on n’a pas seulement le temps d’écrire. Tu sais la même chose, tu as du travail par-dessus la tête et puis tu ne dois pas être bien forte (Henri à Augustine, 20/04).

Détresse qui n’empêche pas le bon mot quand Charles, autre frère d’Augustine lui envoie cette carte de 1er avril :  je m’empresse de venir t’offrir une petite friture pour le 1er avril, mais tout ce que je regrette est de ne pas pouvoir t’offrir la poêle pour les faire frire…

poisson d'avril

    Le soutien se manifeste par l’envoi de colis qu’Augustine envoie à Joseph en cantonnement à Mareuil en Champagne : comme je vais à Longué, je vais en profiter pour t’envoyer un colis de rillettes, et un aussi à ton cher camarade, et à chacun une petite femme pour vous distraire. Je ne sais pas si cela va vous faire plaisir, sans doute qu’il manque encore bien des choses, surtout la liberté pour être heureux. C’est toujours la misère que de ne rien voir pour prévoir la fin (18/05)… Si ton colis n’était pas rendu quand tu partiras, je te prie de dire à ton cher camarade qui écrit pour toi, de le manger car il le mérite bien. Hier en arrivant de faner, j’ai eu le plaisir de recevoir deux lettres de toi (19/06).
… Notre sœur va t’envoyer un colis depuis Baugé, mon petit ami, tu me diras si vous êtes aussi bien nourris comme vous l’étiez au Train régimentaire, et si vous êtes moins au danger, et soit bien aimable de me dire la vérité. Si tu es mal il ne faut pas me dire que tu es bien mon cher Joseph… (31/05).

AugustineRecto de carte d’Augustine, 04 juillet 1917. (coll. part.).

   Françoise B. apprend à Augustine le changement d’affectation d’Henri, qui ne verra donc plus Joseph : quel ennui de les voir séparés l’un de l’autre (…) où va se diriger mon mari ? Que j’ai grand peur qu’il soit mis dans les tranchées ! Quels tourments, ma chère amie, que je serais heureuse si la guerre était finie pour avoir nos maris auprès de nous ! (31/05)… Mon mari devait arriver dimanche matin mais il n’est pas (en)venu à la gare. Il a été changé de régiment au moment de partir. Vous pensez que l’on a de la peine. Sa venue va être peut-être retardée d’un mois. Que je m’ennuie, que je trouve le temps long ma chère amie (19/06).

à suivre …

 

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