Sillegny la secrète

Les passionnés d’histoire de l’art remercient le travail long et méticuleux des restaurateurs qui, sous la crasse des ans et les repeints, ressuscitent des œuvres issues de la nuit des temps, quand les fresques d’églises étaient le livre d’images du peuple des villes et villages. Quel plaisir de découvrir, hors des sentiers battus, un monument hébergeant incognito un tel ouvrage!. C’est entrer dans l’histoire de l’Art par la petite porte… C’est dans cet état d’esprit que j’ai franchi le seuil de la petite église gothique de Sillégny, en Moselle, en bord de Seille.

 Soit donc une modeste église de campagne édifiée au quinzième siècle, dont murs et plafonds donnent à voir encore aujourd’hui l’œuvre de compagnons peintres itinérants et anonymes de cette époque trouble (vers 1500-1515), quand le duc Antoine régnait sur le Duché de Lorraine et François 1er sur le royaume de France. Le plus étonnant, c’est qu’un tel face à face avec le passé soit encore aujourd’hui possible, tant la terre de Moselle eut à subir pendant cinq siècles les soubresauts de l’Histoire : querelles religieuses, guerre de Trente ans, pestes et famines, violences et pillages, et destruction du village en 1944, date où l’église échappe miraculeusement aux violents bombardements pendant la retraite allemande.
La campagne de restauration entamée en 1998 allait redonner couleurs à ces magnifiques peintures que deux événements antérieurs avaient sans doute sauvées de la destruction totale : le fait d’abord que les fresques a tempera avaient été recouvertes très longtemps de badigeon blanc, pour une raison que l’on ignore, et du fait aussi, en 1911, d’une restauration par des spécialistes allemands pendant la période d’annexion de l’Alsace et de la Moselle. Il était utile de rappeler ce contexte historique que précise sur place une précieuse documentation (merci aux auteurs Jean-Marie Pirus, René Bastien et Michel Goin – Edition Région lorraine). Ce blog n’a pas la prétention d’une analyse d’historien de l’art. Au cœur de cet espace clos sur le temps, l’œil s’égare dans la profusion de peinture des murs et des voûtes, et s’enchante des multiples scènes, tout au long de cette bande dessinée des Saintes Écritures. S’y déploient à livre ouvert la vie des saints, l’arbre de Jessé ou le Jugement Dernier.

Jugement Dernier / Enfer / Saint-Christophe

Le Jugement Dernier est le plus grand des tableaux sur le mur d’entrée. Selon la théologie chrétienne, tout le monde comparaîtra devant Dieu lors du Jugement dernier. Soit on restera au Ciel, soit on descendra en Enfer… Et la vision de l’Enfer avait de quoi faire réfléchir les pauvres humains ! L’entrée en est une énorme gueule et les damnés y sont soumis à des supplices et châtiments divers. A sa gauche domine un immense Saint Christophe de cinq mètres de hauteur, peint sur la tour ronde de l’escalier.  La légende dit qu’un jour, il eut à porter l’Enfant Jésus sur ses épaules pour lui faire traverser une rivière caillouteuse. Sa monumentalité m’étonne et j’apprends qu’au Moyen Âge déjà, de multiples fresques d’église de campagne en France et en Italie lui donnaient des proportions colossales. La plaquette de documentation mentionne une présence anecdotique et symbolique de la fraternité, sur le bord de la voûte, à hauteur du bras gauche du saint : un nid de cigognes qui vivaient là dans la campagne messine !

Plus de quarante motifs parsèment ainsi les murs, le chœur et la croisée des voûtes, et je me prends à imaginer le regard des hommes et femmes de ce temps révolu face à ce fabuleux livre d’images : terreur, enchantement, dévotion, mystère ?…  Mon émotion ne naît pas  tant de l’hagiographie des figures saintes, communes à d’autres sites, et délestées depuis des lustres de leur pouvoir moralisateur et doctrinaire (le diable aujourd’hui a d’autres visages) mais, plus intimement, d’une poésie de détails qui accompagnent ce catéchisme, et les relie à la contemporanéité du geste pictural; ce sont en quelque sorte des témoins de la scène peinte, que la magie de l’art nous offre en héritage. Le réalisme de leur représentation dans les peintures délavées de la paroi soulignent la force parmi nous de leur présence muette. Ainsi, par exemple, l’étrange modernité de ce paysage vallonné qui décore l’arrière-plan du panneau consacré à la Tristesse du Christ. Je le découvre d’une même émotion enfantine que la fois où, dans un livre consacré aux manuscrits enluminés du Moyen Âge, je distinguais la silhouette imposante de la Cathédrale Notre Dame de Paris dans le décor nocturne d’une miniature peinte vers 1415… Abolition du temps qui rend si proches ces trois visages tirés de la scène horrible du martyre de Sainte Agathe, peinte au milieu de la nef.

Martyre de Sainte-Agathe / Arbre de Jessé

Et puis, ce sont aussi les donateurs et les commanditaires de l’œuvre peinte, dont l’histoire nous enseigne qu’elles étaient les religieuses du couvent Sainte-Marie-aux-Nonnains de Metz. Dans un premier tableau, elles sont agenouillées en dévotion au pied du Saint Martin qui partagea son manteau avec un pauvre; il y est imposant, habillé en évêque. Quelques mètres plus loin, nous le retrouvons dans un second tableau, cette fois-ci  en tunique de centurion romain.
C’est une belle image bien naïve : les mêmes donateurs se présentent à nouveau à ses pieds, l’un derrière l’autre et les mains jointes, seigneurs et nonnes en ordre de préséance. Le regard respectueux vers le saint, ils semblent glisser vers lui en lévitation, comme portés par la légèreté d’un air purifié des péchés, en passant devant Saint Antoine du désert qui prêcha sa vie durant prière et charité fraternelle.

Donateurs et commanditaires de la fresque

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