14-18 : une chronique ordinaire en Anjou (partie 2)

suite…

    Augustine est accaparée par les travaux agricoles dont elle tient informé Joseph quotidiennement :  Mon bien cher ami tu m’avais dit que j’avais bien réussi mon trèfle. Mais non, je n’y suis pas… car il me fait beaucoup d’embarras. Hier dimanche je l’avais mis en fourcherée, encore heureux qu’il n’avait pas tombé d’eau car les fourcherées étaient toutes défaites et il faisait tellement de vent que nous ne pouvions pas les faire tenir, et il se prépare une nuitée d’eau (01/06/1915)
…. J’ai vendu ma taure (génisse) hier et je l’ai livrée hier soir. Je la vends 560 francs et elle est à son temps le 18; Il était temps de la vendre mon cher Joseph. Je pense que cela t’ennuie car je sais que tu voulais la garder mais moi je ne fais pas comme je veux (17/06)…
…. Je n’ai pas bien du temps à perdre car aujourd’hui dimanche il fait beau temps, je vais allé chercher une charretée de foin dans le pré des Faiguées ce soir car demain lundi, s’il fait beau, je vais faire ma barge. Maurice E. va m’aider. Il est là pour 15 jours, il n’y en a pas beaucoup qui se sont rendu pour 15 jours ; Dire que vous, ce n’est pas possible de vous voir… Oui c’est dur, depuis bientôt 11 mois que l’on ne s’est pas vu . Quand, mon cher ami, aurons-nous le bonheur de se revoir ?
 (20/06).

…. Ce matin j’ai été dans le champ de l’Arche, j’ai vu toute la récolte qui aurait bien besoin de moi. Et dire que je ne peux pas avancer, mon bien cher ami (…) comment veux-tu que je puisse y arriver, mes pois ont poussé un peu mais le (bauyer) pousse bien aussi, je t’assure il y a de beaux pommiers et en même temps de belles pommes, mais pour la vigne il ne faut pas y compter car il n’y a rien du tout. Je finis de couper mon blé et mon avoine mais ce n’est encore pas enjavelé car il tombe de l’eau tous les jours (27/07)…
…. J’ai payé le marais. Tu m’avais dit qu’il y en avait pour 65 francs, j’en ai payé pour 82 francs. J’ai aussi payé le lisier pour 30 francs. Je ne me rappelle pas si je te l’avais dit car je ne me rappelle de rien, il y a bien à perdre la tête de voir de pareilles choses mon bien cher Joseph. Je te parle de ton marais, tu penses bien que je ne vais pas en acheter cette année car il faudrait encore que je m’occupe de cela Je ne le peux pas. Si on a trop de vaches on en vendra une
 (30/06).

chien

Augustine utilise fréquemment des cartes de propagande de ce type. Elle les rédige souvent
aussi depuis la gare de Longué, d’où elle les poste. Le train sert de « colonne vertébrale »
entre les différents villages. C’est de là que partent aussi les soldats. La plupart de ces lignes
sont aujourd’hui désaffectées.

HenriHenri (au premier plan au centre), avril 1915 (coll. part.).

    Augustine se lamente de la rareté des permissions de son mari. Son cousin Henri la rassure en lui écrivant « tu me dis que tu as été quelques jours sans recevoir de nouvelles de ton mari, mais les lettres vont très mal en ce moment...(carte du13/04 ci-dessus).  Nous savons qu’elle répond à quelques cartes de Joseph, mais qui sont introuvables. De fait, il n’existe aucune information de sa part sur sa localisation (il n’avait pas le droit de signaler sa position dans le courrier). Il arrive aussi qu’il n’écrive pas lui-même mais fasse écrire à Augustine par le biais d’un camarade soldat disponible dans sa section : une entraide entre compagnons d’infortune qui semblait répandue, tant le lien continu avec les proches était vital et source de réconfort mutuel. De même, à l’inverse, était précieuse la même entraide dans le village.
Par exemple, la carte de Joséphine qui écrit à Joseph (07/07) : deux mots pour te dire qu’Augustine est en train de faire la barge de foin, elle me dit de t’envoyer une carte car elle n’a point le temps d’écrire en ce moment car le temps n’est pas sûr. Il ne faut pas que tu t’inquiètes que ce soit moi qui t’écrive, car Augustine n’est pas malade…

    Nous avons par contre une carte d’Augustine envoyée à Joseph en décembre 1916, à l’adresse du 270e  train régimentaire, secteur 74. Nous le savons au 70e territorial en décembre 1915. Ce serait conforme à la logique (si logique il y a) dans la mesure où les régiments de réserve se rattachaient aux régiments d’active dont ils reprenaient la numérotation augmentée de 200 (cf site très documenté www.chtimiste.com). Je remercie les contributeurs de m’avoir informé de ce qu’était un train régimentaire : il approvisionnait en vivres et matériels les besoins journaliers des troupes combattantes (vivres, cuisines roulantes, chevaux, caissons en munitions…). Il suivait le mouvement des troupes au plus près des zones de front, mais pouvait aussi être maintenu en arrière. Beaucoup de réservistes y étaient affectés. Il est donc permis de supposer que Joseph était présent sur les fronts de la Somme ou de Meuse, et à la bataille de Verdun. Qu’il aurait pu envoyer, par exemple, la carte postale ci-dessous à Augustine.

canonFront de Somme (coll.part.). 

… Mes nouvelles sont bonnes pour le moment, écrit-elle (27/07), et j’espère que ma carte te trouve de même. Je t’écris aussi pour te dire que jce matin, j’ai été dans le champ de l’Arche et j’ai vu toute la récolte qui aurait bien besoin de moi. Et dire que je ne peux pas avancer, mon bien cher ami, quand je suis prête à faire quelque chose, il me (faudrait avoir un mois), mais comment veux-tu que je puisse y arriver… Mes pois ont pousser un peu, mais le (bauyer) pousse bien aussi. Je t’assure, il y a de beaux pommiers et en même temps de belles pommes, mais pour la vigne, il ne faut pas y compter car il n’y a rien du tout. Je finis de couper mon blé et mon avoine, mais ce n’est pas encore (enjavelé) car il tombe de l’eau tous les jours…

hommageRecto de 2 cartes envoyées par Augustine (juin et février 1915) (coll. Part).

… Je t’ai écrit une lettre hier où je parlais de notre vache. Il devait venir un Marchand, il est venu hier soir (…) Moi je lui ai fait cher un peu à 650 francs et je n’ai rien ôté, et lui m’en a dit tout de suite 580, et avant de repartir m’en a dit 600; tu penses bien que cela m’a rendu bien en peine mais comme tu m’as dit que tu la verrais, peut être que j’ai mal travaillé !  Je ne sais pas s’il sera encore temps mais je te prie de me répondre de suite, puisque Maître C. l’a vue et va pouvoir te renseigner (01/09).

… Hier j’étais au marais et je m’ennuyais beaucoup pour voir si j’avais de tes nouvelles (…)  j’y repars aujourd’hui, toutes les 3 avec les deux filles faire nos deux charretées (02/09).
… Je m’attendais à avoir de tes nouvelles aujourd’hui mais je n’ai rien reçu. Je me demande si tu as besoin de quelque chose, dis-moi le, je te l’enverrai avec plaisir mon cher Joseph, aujourd’hui jeudi je compte aller au Braixe acheter du marais, ça va dépendre du prix, je te le récrirai. Je te prie de me dire si tu as beaucoup de furoncles et si tu souffres beaucoup et tu me diras aussi si tu es en danger (09/09).

    L’angoisse affleure plus dans les propos d’Augustine. Joseph écrit plus rarement encore. La période correspond à la nouvelle offensive française et britannique en Champagne et en Artois qui se soldera par un échec sanglant en octobre (138.000 morts et blessés côté alliés).
Augustine est très triste car Joseph lui annonce qu’il  repart à la compagnie : « en recevant ta carte, je ne crois pas avoir eu tant de chagrin depuis que tu es parti (14 septembre 1915).
… Je te prie de m’écrire bien souvent puisque tu me dis que tu te trouves avec un ancien camarade. Si tu as de bons camarades, ils ne refuseront pas de t’écrire quelques lignes pour moi pour me consoler car je t’assure que je m’ennuie beaucoup (21/09).
 … Je t’ai déjà écrit 5 fois à ta compagnie, et cette carte qui fait 6 fois, et moi mon bien cher Joseph, je n’ai jamais reçu de lettre de toi depuis celle datée du 2 et aussi je te promets que je trouve le temps bien long (13/10).

Les cartes de Joseph reprennent début octobre. Maître M., un voisin de son village est dans une compagnie voisine. Il souhaiterait le rejoindre :
… Je l’ai appris par Marie M. (…). Si tu veux les rejoindre, il en parlerai bien au capitaine, mais (…) c’est pas gagné (6 octobre, Augustine).
… Cette maudite guerre qui ne finit jamais encore… Mon bien cher petit tu as l’air étonné comme je te demande des nouvelles si souvent mais je t’assure qu’il ne faut pas que cela te déplaise car tu dois bien comprendre combien je suis ennuyée et lasse de tout cela. Assure-moi que toi, cher ami, tu es bien malheureux et que tu ne fais pas comme tu veux (…) fais donc pour le mieux mon petit chéri. Je vais te dire aussi que notre petit veau va un peu mieux. Allons mon plus cher ami, à une autre fois (28/11).
… Espérons que bientôt nous aurons le grand bonheur de voir finir cette triste et dure campagne et vous voir rentrés près de nous (…) cher ami il faut prendre courage et espérer que nous aurons bientôt la fin de cette triste vie-là (28/12, carte de vœux d’Augustine à Maître M.).

Le 29/12, Augustine écrit à Joseph qu’elle est chez Eugénie avec Joséphine et Henri, qui rajoute sur la même carte: cher frèr(o) je suis en permission pour 6 jours et je suis chez Eugénie tous trois avec ta famille. Mais j’aurais bien aimé y aller 8 jours plus tôt, on aurait pu boire un verre ensemble.

à suivre…

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