Le livre et le colporteur


 A l’heure de la rentrée littéraire, dont les chroniques évoquent avec pessimisme le destin du support papier, voire la survie du livre imprimé, je mentionne ici le grand plaisir que me fut la lecture du roman de Pierre SILVAIN, Julien Letrouvé colporteur, publié en 2007 par les éditions Verdier.

Je ne connaissais pas l’œuvre de cet écrivain sensible et subtil qui nous a quittés  en novembre 2010, à 83 ans, après parution d’un dernier ouvrage Assise devant la mère, aussi chez Verdier. Ce fut la découverte d’un auteur très discret, grand voyageur, qui publia une œuvre de fictions, récits, théâtre et poésie, à côté d’hommages très personnels à des auteurs qu’il affectionnait particulièrement : Proust (Le côté de Balbec, L’Escampette, 2005), Pierre Loti (Le jardin des retours, Verdier, 2002) ou Georg Büchner (Le brasier, le fleuve, Gallimard, 2000).

Au travers de l’histoire de Julien Letrouvé, enfant abandonné qui devient colporteur de livres, dans les campagnes de la Marne et la Meuse, aux heures troubles de la Révolution Française et de la Terreur, le héros véritable du roman est le livre imprimé, en tant que véhicule de l’éblouissement du savoir, de l’éclosion au monde, autant magnifique dans sa puissance que dangereux dans toute circonstance où l’ouverture à la connaissance et à l’étranger se heurte à la brutalité de la guerre ou de la bêtise. L’affaire n’est pas nouvelle. Nous suivons cet enfant qui porte au cou cette lourde boîte de colporteur où sont rangés et protégés ses trésors de petits livres de la Bibliothèque bleue, dans son désir de répandre à son tour aux villageois qu’il rencontre leurs enchantements et leur sagesse, mais dans la naïveté des dangers qu’il court, ou dont il se moque.  Le livre fut d’abord cette lumière de sa petite enfance, véhicule d’histoires prodigieuses entre les mains d’une liseuse, devant lui, Julien, écoutant religieusement, assis entre les jupes des fileuses au creux des replis souterrains d’une écreigne. Le livre est aussi au centre d’une seconde rencontre décisive, quand au bout de pérégrinations qui le conduisent sur les chemins brumeux de Suippes, Sainte-Menehould et Vitry-le-François, il se retrouve nez à nez avec la grande Histoire à l’approche de la bataille de Valmy. Il y rencontre Voss, un soldat déserteur de l’armée prussienne qui lit et parle le français.

Mêlant l’évocation intimiste où l’on croise Voltaire et Frédéric le Grand, cette union de deux solitudes est le théâtre d’une communion autour de la langue et l’écrit. L’épilogue se nouant avec la terrible réalité de la guerre, mais tout au bout du chemin un bonheur dans la fuite, au bout d’un bras qui tend un petit livre bleu.

Un livre étrange et beau, tout simplement…

(images : deux pages d’un carnet de croquis de l’auteur de ce blog.) 

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