Imaginaire des confins

Jean-François Laurent, L’homme de la Mancha – bronze, longueur 50 cm.

L’Espace d’exposition des Ateliers du canal, à Nancy présente les sculptures récentes de Jean-François Laurent et mes gravures murales marouflées sur toile *. La sculpture « L’homme de la Mancha » traduit bien l’esprit que nous souhaitons donner à cette exposition commune .
Au vœu archaïque et démiurgique du sculpteur de trouver sa forme dans le bronze et le feu répond pour le graveur la quête du trait dans l’acide et le cuivre au service de son imaginaire.

J’ai fait le choix d’exposer mes gravures murales et plusieurs autres d’une même esthétique, toutes par nature à exemplaire unique. L’initiative de ces travaux graphiques m’est venue il y a quelques années en retour d’un voyage à Lisbonne où j’y découvrais dans un musée ces vastes cartes marines sur parchemin, appelées portulans, gravées à l’époque du Moyen Âge et de la Renaissance. Ces cartes de géographie étaient représentatives du monde d’alors . Elles guidaient les voyageurs aux confins des horizons et des océans, jusqu’aux limites des mondes explorés. Au-delà de ces territoires étaient l’inconnu, l’informulé : tout un espace encore vierge sur le papier que dessinateurs et savants peuplaient de leur imaginaire : plantes, créatures, fleuves et animaux fabuleux… Tout un espace ignoré aux confins des terres lointaines, un monde encore à naître… J’y voyais une métaphore de la page blanche sur laquelle on trace son trait de crayon, toujours plus loin, dans un élan à poursuivre sa route avec l’étrange sentiment de ne pas savoir toujours où elle mène.

* Exposition du 22 septembre au 15 octobre 2023. Voir plus bas.

Jean-François Laurent, Éco-logique, bronze, hauteur 30 cm.
Jean-Charles Taillandier, Utopia, gravure et collages, 100 x 100 cm.

Les sculptures de Jean-François Laurent sont portées vers une célébration de l’humain, où domine la figure longiligne de l’homme et de la femme, en bloc monolithique dressé vers le ciel, ou traversé par le vide en son milieu.

Dans un article précédent (voir Jour de coulée), je rapportais ma visite à son atelier mosellan, un jour qu’il coulait lui-même ses sculptures d’après la technique de la cire perdue. C’est un long processus de création qui a traversé les âges, du modelage à la fonte, jusqu’à la phase délicate de la patine qui donne à l’œuvre sa peau et ses reflets. Le sculpteur partage ainsi avec le graveur, chacun dans leur langage propre, une tradition de gestes et de dialogue intime avec la matière.

Jean-Charles Taillandier, suite « Mille manants », panneau mural 1et 2
xylographies sur papier marouflés sur toile de lin, format 150 x 400 cm.

CLIQUER sur l’image pour visionner la gravure murale dans son intégralité.

J’avais déjà tenté l’expérience de la gravure murale dans une autre circonstance, en exploitant le langage rugueux de la gravure sur bois. L’expérience avait consisté à représenter un attroupement d’hommes sous le subterfuge d’une reproduction multiple d’un personnage cloné tout droit sorti de l’imagerie du quinzième siècle propre à Martin Schongauer. La gravure murale, longue au total de quatorze mètres, en sept fragments, utilisait les ressources d’une seule planche gravée à la gouge. ( voir article Mille manants). 
Ici, les gravures murales de la série Portulans ne reprennent pas ce procédé itératif d’impression. L’image est pensée et construite par assemblage de huit feuilles de papier distincts associés à d’autres fragments gravés. Je dis « fragments » car il s’agit bien de portions de gravures précédemment imprimées mises de côté parce que simples tirages d’essai abandonnés, ou en réserve pour des travaux futurs. Ils constituent dans un tiroir ma « banque de données ». La toile de lin consolide et sert de support à la composition d’ensemble à la manière d’une tapisserie. Je me fie au hasard des découvertes heureuses et des improvisations fructueuses.

Soit par exemple l’effet fortuit des empreintes dues à l’écrasement d’herbes et de végétaux sur une plaque de zinc. Les amis graveurs sont familiarisés avec cette technique ancienne du vernis mou qui emprisonnera dans le métal nervures et feuillages. Laissez reposer cette fossilisation de formes creusées par l’acide jusqu’à chasser de votre mémoire l’épisode de cueillette champêtre… Vous abandonnerez la plaque dans un recoin de l’atelier, et un jour, la saisissant par un bord ou un autre, vous y découvrirez l’estuaire, les pistes qui mènent aux montagnes ou à la mer ou au désert. Quitte à explorer plus loin ce creux né d’un acide trop gourmand, propice à toutes les aventures, et que le langage désespérément incongru de la gravure appelle un « crevé ».

Jean-Charles Taillandier, Paysage vert, gravure avec empreintes, et collages, 100×100 cm.

Jean-Charles Taillandier, Portulan 1
gravures et peinture marouflées sur toile, chacune 100×200 cm, exemplaire unique.
Jean-Charles Taillandier, Portulan 2
Jean-Charles Taillandier, l’échelle de Jacob
gravures et peinture marouflées sur toile, 150×150 cm, exemplaire unique.
Jean-François Laurent, Tentation, bronze, hauteur 35 cm.

La matière a ses lois. Le sculpteur est l’instigateur et le témoin d’un grand œuvre au processus long et épuisant, qui nécessite une somme d’expérience et de savoir-faire dans l’univers de l’air et du feu, avec l’éventualité de l’échec, même minime, qui ne peut être écarté. L’épisode technique de la coulée à son atelier révélait, je m’en souviens, une connivence extrême entre Jean-François Laurent et la matière. Jusqu’à l’étape ultime du processus d’oxydation et de patine qui donne enfin à la sculpture sa véritable carnation. Le sculpteur doit porter la pièce de bronze à sa plus pure expression, en ébarber les défauts et « l’habiller » d’une patine toujours discrète, car l’important, dit-il, est de « laisser la suprématie aux volumes« … Faire parler le vide et le plein, apprivoiser la lumière et l’ombre sur les ventres et les creux, mais ne jamais trop flatter l’épiderme du bronze au dépens du corps plein. La vérité se joue dans la masse. D’elle émanera la belle émotion et resplendira la sensualité du sculpteur.

Jean-François Laurent, La force, bronze, hauteur 35 cm.
Jean-François Laurent, Tête, bronze , 17×28 cm.
Jean-François Laurent, Silhouettes, bronze – hauteur 65 cm.
Jean-Charles Taillandier, La cité perdue
gravures et peinture marouflées sur toile, 100×103 cm, exemplaire unique

GALERIE D’IMAGES

Jean-Charles Taillandier, Gentilhomme des confins, gravure, dessin, collages – 100×100 cm
Jean-Charles Taillandier, Paysage bleu, gravure sur bois sur papier Japon, 110×80 cm, exemplaire unique.

GALERIE D’IMAGES

Merci de votre visite

Jean-Charles Taillandier, graveur / Jean-François Laurent, sculpteur

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