Portraits vains

Jean-Charles Taillandier, portrait vain 1
encre sur papiers, pigments et collage, 30 x 30 cm.

“Quant aux gens qui y chercheraient autre chose, je les avertis qu’ils chercheront en vain“…
Alfred Franklin

 La plupart des articles de ce blog consacré à ma démarche de dessinateur et de graveur consacre l’idée que la représentation d’un visage repose sur une illusion de vérité. Elle se fonde sur une approche du portrait que je questionne en référence à des œuvres peintes ou gravées des collections muséales, ou, dans une approche plus intime, à des portraits d’archives photographiques appartenant à mon environnement familial.

Dans tout les cas, la distance qu’impose ce passé des images avec mon propre vécu me confronte à des visages de personnes inconnues ou anonymes. Leurs traits qui étaient initialement les traits de leur identité propre et de l’emprise du vivant appartiennent désormais à un monde absent de mon propre univers ou de ma mémoire, car je suis étranger à leur histoire. Leurs traits et la perception directe que je pourrais en avoir sont dissous à mon propre regard.

Mon dessin qui souhaite aller à leur rencontre accédera à une autre réalité, et ces visages, victimes d’une perte d’identité irrémédiable, ne seront plus eux-mêmes. Ils seront l’objet d’un simple exercice de dessin doté d’un répertoire de signes universels et abstraits. Dans cette entreprise vaine de repossession d’un visage, la problématique de la ressemblance n’a aucune importance puisque je suis confronté à la représentation initiale de parfaits inconnus. Le seul point d’ancrage qui pourrait faire le lien avec le portait originel et le singulariser, est le regard du modèle. Dans le visage, l’œil est la balise et le repère. Il reste le centre de gravité d’une présence, grand-ouvert sur sa propre réalité; et même si les paupières restent closes, comme si le personnage était lui-même déjà étranger à son propre monde. Mais qu’en sait-on au juste ?

Jean-Charles Taillandier, portrait vain 2
encre sur papiers, pigments et collage, 30 x 30 cm.

Au bout du compte, la pratique du dessin, instrument d’une perpétuelle approche d’un visage idéal, sans cesse se dérobe. Cette problématique de la représentation et de l’énigme du visage humain interroge depuis la naissance de l’art des générations de peintres, mais aussi photographes, cinéastes…

Mais, paradoxalement, ce questionnement perpétuel vivifie le dessin et nourrit sa persistance à renaître de son imperfection même. J’ai rassemblé ici plusieurs tentatives de portraits, qu’ils soient autonomes ou rattachés à l’élaboration de séries autonomes antérieures (voir articles Portraits en Renaissance, le geste et la trace, ou Visages de papier).

J’ai accordé dans ces travaux graphiques une grande importance au support papier. La structure du visage de référence n’est rassemblée et suggérée qu’en quelques traits fugaces à l’encre de Chine sur un léger papier oriental translucide. Elle est comme “captée“ en un geste rapide du pinceau sur cette fine épaisseur de peau de papier, qui, sera, elle-même par la suite, superposée à d’autres épaisseurs sous-jacentes travaillées par pigments ou collage. À la fugitive présence initiale s’agglutinent et se superposent d’autres strates graphiques qui viennent à la rescousse d’un portrait toujours vain.

La figure ne saurait vainement s’imposer à ma conscience et à la surface du dessin. Elle se contente d’agglutiner des parcelles de mémoire et de réminiscences. Elle ne peut suggérer à mon regard contemporain qu’une identité subjective et intemporelle.

Jean-Charles Taillandier, portrait vain 3
Ci-dessous en galerie : portraits vains de 4 à 17.
encre sur papiers, pigments et collage, 30 x 30 cm (années 2014-2018).

Un commentaire sur “Portraits vains

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