Fake news en dentelles

Jean-Charles Taillandier, (4) Léopold au miroir / (32) Maria à l’écharpe (13 x 17,5 cm sur Arches), année 2020.

« Fake news en dentelles » , une suite d’estampes numériques inspirées d’un recueil de gravures hollandaises du dix-septième siècle conservé à la bmi d’Epinal-Golbey.

Un peintre-graveur d’aujourd’hui ne peut qu’être admiratif devant le grand œuvre gravé des maîtres d’hier, subjugué par la maîtrise technique et stylistique, l’art du dessin et l’élégance du trait, qui portent à leur apogée le langage de l’eau-forte et du burin. Pour le graveur d’aujourd’hui comme hier, c’est le même défi d’affronter la dureté froide du cuivre, avec des moyens techniques pratiquement semblables, pour ne pas dire rudimentaires, : pointes sèches, pierres à huile, rouleaux, encre et vernis… Fraternité de la main et de l’outil, dirait le philosophe Gaston Bachelard.

Toute image ancienne offre souvent un excitant complémentaire, au-delà même de sa beauté intrinsèque, car sa part d’inconnu à notre entendement interroge. Quelle motivation de commande, quel univers mental a donné corps à cette image ? À l’autre bout du temps, cette énigme participe aussi à sa beauté, beauté qui n’a pourtant que faire du pourquoi/comment. C’est ce que m’a appris la fréquentation des musées. Tel portrait gravé de personnage illustre se révèle à nous au hasard d’une cimaise, et c’est la porte entrouverte sur un autre monde : le remarquable, le beau, l’imposant ne sont plus dans le portraituré, car, admiré ou craint de son vivant, le personnage a perdu sa superbe et de son prestige, et nous en ignorons désormais jusqu’à son nom. Il n’est plus qu’effigie dans son accoutrement de cérémonie de fine dentelle ou rutilante armure, avec épitaphe gravée à ses pieds dans le marbre, entre deux colonnes, ajoutant à la prestance rigide de la pose la grandiloquence de la lettre.
L’inspiration de la présente série « Fake news en dentelles » est un ensemble de 120 planches gravées, rassemblées en un recueil unique par un collectionneur anonyme. Il est conservé dans le département des Vosges par le fonds précieux de la bibliothèque multimédia intercommunale d’Epinal-Golbey (bmi). Ce volume appartenait vraisemblablement au patrimoine de la Principauté de Salm rattachée à la France en 1793, ou intégrait les rayonnages de l’abbaye de Senones, dont les biens furent dispersés à la Révolution française… La grande majorité de ces gravures est de la main de deux graveurs hollandais : Peter (Petrus) de Jode l’Ancien (1570-1634) et son fils Peter de Jode le Jeune (1606-1674). Quelques unes aussi sont de main anonyme ou signées de Crispin de Passe et de son fils Simon, contemporains des de Jode, partageant, qui sait, le même atelier. Dans la tradition de leur temps, elles servaient à diffuser les œuvres de peintres célèbres, tels Rubens, et surtout Van Dyck.  Ce que confirme l’histoire de l’art qui précise que Peter de Jode et son fils faisaient partie des artistes engagés par le peintre Van Dyck pour mener à bien sa propre collection gravée iconographique.

Pourquoi « Fake news en dentelles » ?

Voici donc pour le destin de ces images et le mystère dont elles se parent à mes yeux. Trois siècles et demi plus tard, mon regard se heurte au mur de leur anachronisme. Chaque portrait est l’image figée d’un buste dépouillé de toute enveloppe nimbée de respectabilité, auréolé d’un décorum symbolique et de cartouches incompréhensibles à qui n’est pas historien et latiniste. Le temps s’est arrêté dans l’espace clos de chaque planche, espace rigoriste respectueux de toutes les convenances d’une époque austère. Et pourtant ne peut-on pas déceler parfois quelque malice du graveur, comme une tentation de liberté de ton à laisser fuiter hors champ la respectabilité du modèle. Mettre à nu sous le beau linge ou le fer, l’innocence, l’orgueil, la fatuité ou la brutalité. Bref, rendre le modèle humain et intemporel…

En nos temps abreuvés de fake news et de manipulations d’images, où il ne suffit plus de voir pour croire, il m’a paru tentant de m’emparer de ces lointains personnages et de les lancer dans un nouveau tour de piste du mensonge et de l’illusion. Oh rien de méchant, même pas une usurpation d’identité, juste quelques retouches pour nous les mettre en connivence avec notre siècle et nous les rendre plus familiers. Et même s’ils traînent encore avec eux quelques oripeaux de fortune. Ce n’est pas là un exercice de style à prendre trop au sérieux. Un soupçon de légèreté et aussi de dérision sont acceptés… La boîte à outil de ce maquillage d’image est sommaire et le réel prend souvent le large. Mais cette démarche plastique assumée l’est toujours dans le respect du langage gravé intemporel et de la dimension originale de chaque planche sélectionnée, revue et corrigée.

La galerie ci-dessous présente une sélection de la série inédite « Fake news en dentelles » qui comprend 57 estampes numériques (cliquer sur l’image).

« Fake news en dentelles », estampes numériques de Jean-Charles Taillandier
En raison de la crise sanitaire, l’exposition initialement programmée en juillet a été ouverte quelques jours au public en décembre 2020.
Bibliothèque médiathèque intercommunale (bmi)
48, rue Saint Michel – 88025 Epinal cédex
tél : 03 29 39 98 20


www.bmi.agglo-epinal.fr

4 commentaires sur “Fake news en dentelles

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