Portraits épars

Jean-Charles Taillandier« Portrait épars 6 »
encre, fragments gravés, collages, format 30×30 cm.
Jean-Charles Taillandier« Portrait épars 1 »
encre, fragments gravés, collages, format 30×30 cm.
Jean-Charles Taillandier« Portrait épars 8 »
encre, fragments gravés, collages, format 30×30 cm.

GALERIE 1 – clic sur l’image
Jean-Charles Taillandier – « Portraits épars 7, 11, 14 »
encre, fragments gravés, collages, format 30×30 cm.

Jean-Charles Taillandier« Portraits épars 2 / 3 »
crayon, fragments gravés, collages, format 30×30 cm.

GALERIE 2 – clic sur l’image
Jean-Charles Taillandier« Portraits épars 4, 9, 15 »
encre, fragments gravés, collages, format 30×30 cm.

Jean-Charles Taillandier – « Portrait épars 5″
encre, fragments gravés, collages, format 28×30 cm.
Jean-Charles Taillandier – « Portrait épars 10« 
encre, fragments gravés, collages, format 30×30 cm.
Jean-Charles Taillandier – « Portrait épars 16« 
encre, fragments gravés, collages, format 30×30 cm.
Jean-Charles Taillandier – « Portrait épars 17« 
encre, fragments gravés, collages, format 30×30 cm.
Jean-Charles Taillandier – « Portrait épars 13« 
encre, fragments gravés, collages, format 30×30 cm.

Offrande à la belle florentine

Jean-Charles Taillandier,  Offrande à la belle florentine
Inspirée de Portrait de Constanza Ghilandaio, peint par Ridolfo del Ghirlandaio, huile sur panneau, 1564, collection privée.
Tirage final sur papier Fabriano ivoire.

Cette gravure, Offrande à la belle florentine, est la plus récente de la série Entre Elles.
Elle est inspirée d’une peinture qui a fait l’objet d’un commentaire sur le net en mars 2020 (voir l’article), sous le titre Portrait de Constanza Ghilandaio, peint par Ridolfo del Ghirlandaio, huile sur panneau, 1564. C’est le portrait en buste d’une belle et noble florentine, au regard profond et lointain. Elle est coiffée d’une tulle légère et vêtue d’une robe noire au léger décolleté blanc. Elle a les bras repliés à hauteur de la poitrine et tient dans sa main gauche un tissu brun et blanc, tel un mouchoir de dentelle.

Elle adresse à nous, lointains spectateurs, ce regard perdu et interrogateur; j’ai pensé qu’il pourrait avoir pour cause un objet étrange et inconnu de son monde, qu’elle serre dans sa main gauche : une tablette graphique, par exemple… Une jeune fille d’aujourd’hui, à l’ample chevelure frisée, est présente à ses côtés. Elle lui a tendu l’objet et l’encourage de son geste à accepter l’offrande. Tel un cadeau d’accueil dans un univers qui transcende les temps.

Un croquis au stylo sur papier calque au format de la planche (50 x 50 cm – ci-dessous) en a défini la composition générale. Retranscrit sur la surface blanchie de la planche, le trait a guidé, en étapes successives, le travail de gravure en taille d’épargne sur le bois, jusqu’à un premier tirage de la matrice sur le plateau de la presse (avec encore par la suite d’autres menues corrections).
C’est pour moi un beau moment d’émotion de découvrir une image longuement méditée.

Tout naît d’un regard…

Cette suite gravée sur bois a pris forme sous le concept de la thématique unique du portrait féminin :
– Mettre en invraisemblable présence une femme d’un passé révolu aux côtés d’une femme d’aujourd’hui,
– Ou projeter dans notre univers contemporain une femme du passé dont l’anachronisme sera trahi par un simple détail (objet, détail vestimentaire ou singularité gestuelle).
Comment traduire par l’image ce hiatus et l’incohérence d’une telle situation qui ne sont concevables que sous l’angle de l’imaginaire ? Il me fallait donner corps et vraisemblance à l’intimité de leur présence. J’ai imaginé le regard de ces femmes empli d’un sentiment d’égarement, de solitude, mais aussi de bienveillance l’une envers l’autre.
Comment définir cet instant de stupéfaction qui met en étroite relation des êtres confrontés à la barrière du temps ? Dans ce moment étrange, nulle amorce de conversation verbale ne peut briser le silence… Et d’ailleurs dans quelle langage commun ?

S’amorce alors une petite mise en scène à un ou deux personnages dans leur cadre de papier. Elle demande à définir d’abord le choix des protagonistes : mes photographies personnelles, documents familiaux et dessins, ont inspiré les modèles féminins contemporains. Leurs consœurs lointaines peuplent par milliers les collections des musées, facilement accessibles grâce à leurs bibliothèques numériques. Leurs portraits peints ou gravés traduisent l’appartenance à leur époque ou à leur rang, induisent leur façon de se vêtir, se coiffer… de se mettre en évidence.
Je dois avouer que mon choix de sélection dans les collections, susceptible de servir mon projet plastique, a eu valeur très subjective. Métamorphosé en mon langage de graveur, il n’a pour finalité que de rendre vraisemblable un court instant de rencontre impossible.

Jean-Charles Taillandier,  Série Entre Elles, Portrait de femme à l’écharpe.
Inspirée de Isabelle 1ere de Lorraine, huile sur toile, par Ambito Fiorentino,
Galerie des Offices, Florence.
Bas :Travail préparatoire sur la planche gravée, 50 x 50 cm, année 2022.

Je vous présente ci-dessous plusieurs gravures représentatives de la suite Entre Elles.

Format de chaque planche : 50 x 50 cm – Tirage sur feuille Fabriano Pergamon au format 60 x 66 cm.
Tirage prévu à 15 exemplaires + 1 exemplaire de tête.
La série, amorcée dès l’année 2021 n’est pas close. De belles découvertes sont toujours possibles dans la richesse infinie des collections.
C’est une démarche évolutive, balisée par plusieurs articles en ligne de ce blog  :
Toute figure est un monde
Propos d’atelier sur « Entre Elles », une suite gravée
Trois variations sur Catherine

Invitation à une soirée Halloween
Inspirée d’une gravure de Claude Mellan, Portrait de Jeune fille, 1626
Donation Jacques Thuillier, musée des beaux arts, Nancy.
Le chandail de Mademoiselle Le Gras
Inspiré d’une gravure (G. du Change sculpt.), Mlle Le Gras, supérieure de la compagnie des filles de la Charité, vers 1640.
Donation Jacques Thuillier, musée des beaux arts, Nancy.
Catherine au tour du cou
Inspirée d’une peinture de Corneille de Lyon, Portrait de Catherine de Médicis, vers 1536,
Collection Pollesden Lacey, Surrey, Angleterre.
Une combattante
Face à face
Inspirée d’une peinture de l’Ecole flamande, Dame Bonne d’Artois, duchesse de Bourgogne,
Stadtliche Museen, Berlin.
Jeune femme au smartphone
Inspirée d’une peinture de Giuliano Bugiardini, Portrait de femme,
Palais Dorotheum, Vienne.
Le cri
Inspirée d’une peinture de Sandro Botticelli, Portraitd’Alfonsina Orsini,
Galerie Palatina, Florence, Italie.
Double portrait au livre
Couple
Inspirée d’une peinture d’Antonio Moro, Portrait de Catherine de Castille, XVIe siècle,
Musée du Prado, Madrid.
 Chut ! 
Inspirée d’une peinture d’Antonio Moro,  Portrait de Catherine de Castille , XVIe siècle,
Musée du Prado, Madrid.
Double portrait à la pomme.
Inspiré d’une peinture Renaissance italienne (?)
Questionnement
Inspirée d’une peinture de Pourbus l’Ancien, Portrait de femme, vers 1600,
Musée de Grenoble .
Chuchotements
Inspirée d’un autoportrait d Katarina von Hemessen non daté (vers 1550),
Bower Museum, Barnard castle, Angleterre.

Portraits invraisemblables

La suite Outre-temps, gravée sur dalle de sol vinyl, est désormais close avec l’achèvement du tirage de la dix-septième et ultime pièce composant l’ensemble. Trois articles précédents de mon blog (La gravure dans tous ses états, puis Portraits d’outre-temps, et enfin Toute figure est un monde) ont été consacrés au déroulé de ces travaux en atelier, depuis leur genèse à l’été 2022. En quelques mots, je rappellerais à mes nouveaux amis lecteurs que cette suite gravée est un exercice sur la thématique du portrait qui me tient à cœur. Plus précisément dans ce cas, elle questionne mon regard confronté à l’image ancienne, par sa nature même chargée d’anachronisme et de mystère. Cet attrait pour le visage d’un autre temps n’est pas nouveau pour moi. Je l’ai pratiqué en dessin et gravure, avec mes tentatives d’approche de portraits d’inconnus qui dorment dans les réserves des musées (voir l’article Portraits vains). Mais dans le cas présent, il ne s’agit pas d’anonymes oubliés de l’histoire, mais de portraits gravés de papes, puisés dans les trois volumes d’une collection privée désormais conservée au cabinet des estampes de Nancy : une précieuse iconographie à la disposition de mon invention…

Ce qui m’interpelle dans cette collection unique n’est pas le portrait individualisé très codifié de chacune de ces personnalités. Au temps lointain de leur diffusion, ces estampes transmettaient le portrait de l’homme le plus puissant dans le vaste espace géographique de la chrétienté. Elles étaient beaucoup plus qu’un portrait, elles étaient vecteurs d’un pouvoir immense que chacun pouvait approcher par le biais d’une simple image imprimée.
Mais bien loin de leur temps, comment ces images me parlent encore, au delà de leur vraisemblance ?
… Une aubaine au profit d’un imaginaire graphique personnel, parfaitement subjectif et libre,
C’est un no man’s land temporel, stylistique et sacré que j’ai tenté de franchir avec mon langage de graveur.

L’imaginaire prenant le pas sur l’aspect analytique de l’image, les singularités de chaque visage se dépersonnalisent. Dans ma volonté affirmée de ne plus les assujettir à leur vérité historique, je n’ai pas cherché à me renseigner sur l’histoire de ces papes et leur destin. Leurs traits deviennent signes, comme deviennent signes les inscriptions latines qui accompagnent en bordure dans des cartouches l’identité du sujet. La graphie des visages et des écritures se dissolvent au profit d’un nouvel alphabet plastique qui sera le matériau de mes images sur les calques, dessins préparatoires et textures de fond.

Priorité à l’image, donc…

Afin d’illustrer l’esprit de cette suite gravée Outre-temps qui comprend au total dix-sept œuvres différentes , je vous présente ci-dessous le processus aboutissant à deux gravures distinctes de la suite gravée, toutes deux inspirée de la gravure originale ci-dessous, qui fait partie du premier recueil :

Portrait du pape Jean XVI, né Johannes Phil Agathos, mort en 998.
Eau-forte XVIe siècle, artiste inconnu .
Recueils de portraits gravés des papes, 3 vol., Bibliothéque Stanislas, Nancy.

Je privilégie le dessin du regard qui va s’imposer dansune mise en place graphique dans un carré de 30 cm de côté.
Ce format est commun à toutes les planches de la série. L’ébauche générale est tracée sur papier calque inversible
(ne pas oublier que l’image doit être pensée à l’envers en prévision de l’impression future sur papier report).
Des corrections ou ajouts s’opèrent sur des fragments de calque collés en superposition.
Une ébauche de couleurs ou grisé sur papier, placée en couche inférieure aide à la mise en place
des masses et au partage des surfaces en deux planches qui se superposeront à l’impression
(planche 1 imprimée en noire, planche 2 imprimée en rouge).

La structure générale de l’image étant acquise sur le calque d’ébauche, elle est reportée sur la planche vinyl préparée.
La gravure en creux à la gouge peut commencer, évidant ce que seront les zones préservées de l’image imprimée.

Planche 1 imprimée à l’encre noire

Planche 1 imprimée à l’encre noire et planche 2 imprimée en rouge

IOANNES XVI : impression sur papier des 2 couleurs en superposition.
Estampe finale numérotée et signée.

Seconde ébauche à partir du portrait d’origine du pape Jean XVI.
Sur la planche 1 destinée au noir, je prévois sur la partie basse la graphie d’un manteau que je soulignerai de rehauts de rouge avec la planche 2, Sur la partie droite, large composition latine verticale empruntée à une autre gravure originale. Même principe du calque pour déterminer le positionnement de l’image d’ensemble.

Je commence ici le travail de gravure sur la plaque vinyl, réservée au noir,
après avoir effectué le report du tracé au crayon.

Le travail de gravure avance après avoir évidé complètement l’emplacement réservé à la couleur rouge.

Fin du travail de gravure de la planche 1 destinée à être encrée en noir.

PONTIFEX MAXIMUS : sur presse, impression sur papier des 2 couleurs en superposition.
Estampe finale numérotée et signée.

Puis arrive le temps du tirage des épreuves sur ma presse,
et séchage à l’atelier…

OUTRE-TEMPS, une suite gravée

Dix-sept gravures sur dalle vinyl
Format de chaque planche : 30 x 30 cm
Impression sur papier parchemin Fabriano, 230 gr, format 50 x 70 cm
limitée à 20 exemplaires, par l’artiste à son atelier.

La suite complète OUTRE-TEMPS sera disponible sous cadre
à disposition des galeries et artothèques.
En préparation pour 2024 : une édition de tête sous coffret,
en collaboration avec les Editions 379 – Galerie artothèque 379, Nancy.

Pour tout contact : taillandier.jc@orange.fr

Et on se quitte avec la douzième gravure de la suite Outre-temps : SCALCHUS

Imaginaire des confins

Jean-François Laurent, L’homme de la Mancha – bronze, longueur 50 cm.

L’Espace d’exposition des Ateliers du canal, à Nancy présente les sculptures récentes de Jean-François Laurent et mes gravures murales marouflées sur toile *. La sculpture « L’homme de la Mancha » traduit bien l’esprit que nous souhaitons donner à cette exposition commune .
Au vœu archaïque et démiurgique du sculpteur de trouver sa forme dans le bronze et le feu répond pour le graveur la quête du trait dans l’acide et le cuivre au service de son imaginaire.

J’ai fait le choix d’exposer mes gravures murales et plusieurs autres d’une même esthétique, toutes par nature à exemplaire unique. L’initiative de ces travaux graphiques m’est venue il y a quelques années en retour d’un voyage à Lisbonne où j’y découvrais dans un musée ces vastes cartes marines sur parchemin, appelées portulans, gravées à l’époque du Moyen Âge et de la Renaissance. Ces cartes de géographie étaient représentatives du monde d’alors . Elles guidaient les voyageurs aux confins des horizons et des océans, jusqu’aux limites des mondes explorés. Au-delà de ces territoires étaient l’inconnu, l’informulé : tout un espace encore vierge sur le papier que dessinateurs et savants peuplaient de leur imaginaire : plantes, créatures, fleuves et animaux fabuleux… Tout un espace ignoré aux confins des terres lointaines, un monde encore à naître… J’y voyais une métaphore de la page blanche sur laquelle on trace son trait de crayon, toujours plus loin, dans un élan à poursuivre sa route avec l’étrange sentiment de ne pas savoir toujours où elle mène.

* Exposition du 22 septembre au 15 octobre 2023. Voir plus bas.

Jean-François Laurent, Éco-logique, bronze, hauteur 30 cm.
Jean-Charles Taillandier, Utopia, gravure et collages, 100 x 100 cm.

Les sculptures de Jean-François Laurent sont portées vers une célébration de l’humain, où domine la figure longiligne de l’homme et de la femme, en bloc monolithique dressé vers le ciel, ou traversé par le vide en son milieu.

Dans un article précédent (voir Jour de coulée), je rapportais ma visite à son atelier mosellan, un jour qu’il coulait lui-même ses sculptures d’après la technique de la cire perdue. C’est un long processus de création qui a traversé les âges, du modelage à la fonte, jusqu’à la phase délicate de la patine qui donne à l’œuvre sa peau et ses reflets. Le sculpteur partage ainsi avec le graveur, chacun dans leur langage propre, une tradition de gestes et de dialogue intime avec la matière.

Jean-Charles Taillandier, suite « Mille manants », panneau mural 1et 2
xylographies sur papier marouflés sur toile de lin, format 150 x 400 cm.

CLIQUER sur l’image pour visionner la gravure murale dans son intégralité.

J’avais déjà tenté l’expérience de la gravure murale dans une autre circonstance, en exploitant le langage rugueux de la gravure sur bois. L’expérience avait consisté à représenter un attroupement d’hommes sous le subterfuge d’une reproduction multiple d’un personnage cloné tout droit sorti de l’imagerie du quinzième siècle propre à Martin Schongauer. La gravure murale, longue au total de quatorze mètres, en sept fragments, utilisait les ressources d’une seule planche gravée à la gouge. ( voir article Mille manants). 
Ici, les gravures murales de la série Portulans ne reprennent pas ce procédé itératif d’impression. L’image est pensée et construite par assemblage de huit feuilles de papier distincts associés à d’autres fragments gravés. Je dis « fragments » car il s’agit bien de portions de gravures précédemment imprimées mises de côté parce que simples tirages d’essai abandonnés, ou en réserve pour des travaux futurs. Ils constituent dans un tiroir ma « banque de données ». La toile de lin consolide et sert de support à la composition d’ensemble à la manière d’une tapisserie. Je me fie au hasard des découvertes heureuses et des improvisations fructueuses.

Soit par exemple l’effet fortuit des empreintes dues à l’écrasement d’herbes et de végétaux sur une plaque de zinc. Les amis graveurs sont familiarisés avec cette technique ancienne du vernis mou qui emprisonnera dans le métal nervures et feuillages. Laissez reposer cette fossilisation de formes creusées par l’acide jusqu’à chasser de votre mémoire l’épisode de cueillette champêtre… Vous abandonnerez la plaque dans un recoin de l’atelier, et un jour, la saisissant par un bord ou un autre, vous y découvrirez l’estuaire, les pistes qui mènent aux montagnes ou à la mer ou au désert. Quitte à explorer plus loin ce creux né d’un acide trop gourmand, propice à toutes les aventures, et que le langage désespérément incongru de la gravure appelle un « crevé ».

Jean-Charles Taillandier, Paysage vert, gravure avec empreintes, et collages, 100×100 cm.

Jean-Charles Taillandier, Portulan 1
gravures et peinture marouflées sur toile, chacune 100×200 cm, exemplaire unique.
Jean-Charles Taillandier, Portulan 2
Jean-Charles Taillandier, l’échelle de Jacob
gravures et peinture marouflées sur toile, 150×150 cm, exemplaire unique.
Jean-François Laurent, Tentation, bronze, hauteur 35 cm.

La matière a ses lois. Le sculpteur est l’instigateur et le témoin d’un grand œuvre au processus long et épuisant, qui nécessite une somme d’expérience et de savoir-faire dans l’univers de l’air et du feu, avec l’éventualité de l’échec, même minime, qui ne peut être écarté. L’épisode technique de la coulée à son atelier révélait, je m’en souviens, une connivence extrême entre Jean-François Laurent et la matière. Jusqu’à l’étape ultime du processus d’oxydation et de patine qui donne enfin à la sculpture sa véritable carnation. Le sculpteur doit porter la pièce de bronze à sa plus pure expression, en ébarber les défauts et « l’habiller » d’une patine toujours discrète, car l’important, dit-il, est de « laisser la suprématie aux volumes« … Faire parler le vide et le plein, apprivoiser la lumière et l’ombre sur les ventres et les creux, mais ne jamais trop flatter l’épiderme du bronze au dépens du corps plein. La vérité se joue dans la masse. D’elle émanera la belle émotion et resplendira la sensualité du sculpteur.

Jean-François Laurent, La force, bronze, hauteur 35 cm.
Jean-François Laurent, Tête, bronze , 17×28 cm.
Jean-François Laurent, Silhouettes, bronze – hauteur 65 cm.
Jean-Charles Taillandier, La cité perdue
gravures et peinture marouflées sur toile, 100×103 cm, exemplaire unique

GALERIE D’IMAGES

Jean-Charles Taillandier, Gentilhomme des confins, gravure, dessin, collages – 100×100 cm
Jean-Charles Taillandier, Paysage bleu, gravure sur bois sur papier Japon, 110×80 cm, exemplaire unique.

GALERIE D’IMAGES

Merci de votre visite

Jean-Charles Taillandier, graveur / Jean-François Laurent, sculpteur

Carnets de dessin

Jean-Charles Taillandier – Encre sur papier japon, format 85 x 55 cm.
Inspiré de la peinture Autoportrait avec sa mère, de Jacques Stella (vers 1635)Musée Georges de la Tour, Vic-sur-Seille.
Beau regard de sa mère, tourné vers nous. D’après la chronique, elle vient de retrouver son fils en retour d’un séjour en Italie.

En marge de me séries gravées, le dessin est un moment de respiration spontané, sous l’impulsion d’un trait d’encre, parfois rehaussé de collages.

Je vous ouvre ici ces carnets de dessin, rarement exposés. Du fait de leur format, je le appelle mes “portraits verticaux“. Ils sont inspirés de visages d’hommes et femmes demeurés anonymes, dont des documents d’archives, vieilles cartes postales ou albums de famille ont préservé leur trace fugace de l’oubli. Ou bien, pour d’autres, ils sont inspirés de peintures conservées dans les musées de Lorraine, qui avaient retenu mon regard.

Bonne visite

Jean-Charles Taillandier – Encre sur papier oriental, avec collages, format 60 x 22 cm.
Jean-Charles Taillandier – Encre sur papier oriental, avec collages, format 60 x 22 cm.
Jean-Charles Taillandier – Encres sur papier oriental, avec collages, format 60 x 22 cm.
au centre : d’après Portrait de Florentine de Fulaine, religieuse (XVI-XVIIe siècle)- Musée de la Cour d’or, Metz.
à droite : d’après
Portrait de jeune fille (première moitié du XVIIe siècle). Attribution incertaine (Matthieu Le Nain ?) – Musée Georges de la Tour, Vic-sur-Seille.
Jean-Charles Taillandier – Encres sur papier oriental, avec collages, format 60 x 22 cm.
Jean-Charles Taillandier – Encres sur papier oriental, avec collages, format 60 x 22 cm.
Jean-Charles Taillandier – Encres sur papier oriental, avec collages, format 60 x 22 cm.
Jean-Charles Taillandier – Encres sur papier oriental, avec collages, format 60 x 22 cm.
Trois variations inspirées de la peinture Portraits de Nicolas et Madeleine Fournier (1625) – Musée lorrain, Nancy.

Jean-Charles Taillandier – Encres sur papier oriental, avec collages, format 60 x 22 cm.

< GALERIE >

Jean-Charles Taillandier – Encres sur papier oriental, avec collages, format 85 x 55 cm.

Toute figure est un monde

Honoré de Balzac, Le Chef-d’oeuvre inconnu.

Jean-Charles Taillandier, «  Entre Elles 16 – chuchotement « , planche 50 x 50 cm (détail)
ci-dessous :  » Outre temps 11 « , gravure sur dalle, 30×30 cm (détail)
Agrandir : cliquer sur l’image

Par le biais de ces chroniques, je tente épisodiquement d’évoquer le suivi d’une démarche plastique à mon atelier. Je vis cette expérience au travers de deux séries gravées que je mène en simultané :
– l’une intitulée Entre elles qui a pour thématique l’expérience d’un anachronisme, quand une image unique rassemble en une fiction deux figures féminines appartenant chacune à un univers temporel différent (voir articles Propos d’atelier sur  » Entre Elles « , une suite gravée, et Trois variations sur Catherine de Médicis),
– l’autre consacrée à l’art du portrait,  inspiré d’une collection de portraits de papes conservée au Cabinet des estampes de la bibliothèque de Nancy (voir article Portraits d’outre-temps). Un double projet, donc, où s’immisce le temps avec son pouvoir d’oubli et de métamorphose …
Cette seconde série s’est heurtée dès l’été 2022 à une interrogation, quand s’est posée la question du support qui accueillera le travail de gravure : plaque de cuivre , ou bois ou plaque de vinyl. Tout est affaire de connivence entre le support, la main et le langage graphique qui donnera sens à l’image. On pourrait considérer comme anecdotique ce choix du support, a priori toutes les techniques sont compatibles, à moins qu’une en particulier ait les faveurs de l’artiste par inclination ou expérience. C’est selon… Je pense que tous les graveurs ont ce genre de ruminations à un moment ou à un autre. J’avais opté pour le langage de l’eau-forte, en creux, et c’était une erreur… Je n’y reviens pas, j’ai évoqué ces déboires dans La gravure dans tous ses états, puis Portraits d’outre temps

Ce qui est fondamental dans la démarche qui me guide tout au long de mon travail de graveur, est ce rapport mystérieux au temps qu’instaure mon propre imaginaire avec certaines œuvres d’art du passé. Plus qu’un attrait ou préférence, il s’agit plutôt d’une expérience de regard, riche d’interrogations multiples qui me poursuit de série en série.

L’écrivain Alberto Manguel, dans son ouvrage Le livre d’images, que je consulte souvent, livre quelques clés.
Je le cite : « Toute œuvre d’art croît à travers d’innombrables couches de lectures superposées, et chaque lecteur la débarrasse de ses couches afin d’arriver à elle en ses propres termes. Pour cette dernière (et première) lecture, nous sommes seuls.«  (le livre d’images-Actes sud p.35).

Ces travaux en cours abordent cette question de la représentation :
Dans le cadre prédéfini d’un format toujours carré, plusieurs images de la série Entre elles proposent une scène mettant en relation deux présences féminines d’univers différents. L’une est une femme d’aujourd’hui, la seconde surgit d’un temps ancien et révolu qui peut être le Moyen-Age ou le dix-septième siècle. Mon imagination les rassemble dans cet espace clos qui raconte une rencontre impossible. La seconde jeune fille n’est pourtant pas pure création de mon esprit, elle a réellement vécu dans ces temps obscurs, et les collections des musées en portent témoignage. Souvent la grande Histoire n’a pas retenu jusqu’à nous son destin, son nom ou l’identité du peintre qui l’a choisie pour modèle. C’est ce qui m’émeut : qu’elle soit ici présente dans sa vérité sans fard et son monde brut et étanche qui n’est pas le nôtre. C’est ce que je cherche à appréhender : cette présence innocente dépouillée de toutes les couches de lecture d’interprétation dont pourraient la revêtir une biographie retrouvée, l’histoire de l’art ou toutes sortes de commentaires opportuns ou non…

La composition ci-dessous, par exemple, propose l’idée d’un chuchotement d’une femme contemporaine à l’oreille d’une femme d’un autre temps. Elle écoute attentivement le message, tel un secret que sa voisine lui confie. Nul ne sait ce que sont ces paroles que rend possible l’abolition du temps dans l’espace d’une image. Il me fallait trouver l’incarnation de cette présence inopinée, révélée à notre monde par sa seule silhouette. Elle est là, surprise et figée dans son écoute muette qu’un destin a incarné sous les traits d’une jeune femme du seizième siècle.
Je l’imagine ainsi, intacte sous toutes ses couches de lecture et d’interprétation qu’évoque Alberto Manguel. Mes recherches pour lui donner chair m’ont guidé jusqu’à cette peinture sur toile laconiquement titrée Portrait de femme, non datée, œuvre d’une artiste femme de la Renaissance nordique dénommée Katarina von Hemessen.

Jean-Charles Taillandier,  » Entre Elles 16 – chuchotements « , xylographie 50 x 50 cm, année 2023.
source : Katarina von Hemessen, portrait de femme, non daté (vers 1560) – Bower Museum, Barnard Castle, Royaume Uni.
Ci-dessous : calque préparatoire (détail)

Jean-Charles Taillandier,  » Entre Elles 10 – Face à face « , xylographie 50 x 50 cm, année 2022.
source : Peinture Ecole flamande, Dame Bonne d’Artois, stadtliche Museen, Berlin.

Jean-Charles Taillandier,  » Entre Elles 17 – Halloween « , xylographie 50 x 50 cm, année 2022.
source : gravure de Claude Mellan, portrait de Jeune fille, 1626 (Donation Jacques Thuillier, musée des beaux arts, Nancy).

Jean-Charles Taillandier,  » Entre Elles 17 – Halloween « , planche 50 x 50 cm (détail).

Jean-Charles Taillandier,  » Entre Elles 6 – Isabelle au foulard « , planche et tirage (50×50 cm) (2022).

Toujours dans le domaine du portrait, la seconde série gravée Portraits d’outre-temps a été amorcée dès l’été 2022. L’article précédent en a fait largement écho. Aujourd’hui, la série, désormais close, compte seize planches différentes gravées sur dalles vinyl, au format 30×30 cm. La prochaine étape sera leur tirage sur un papier artisanal, en deux couleurs noire et rouge et pour un nombre d’exemplaires limité encore indéterminé.

Dans une démarche comparable à la série Entre elles, mon souhait est de retrouver dans ces portraits de papes une innocence de la figure, et de me la réapproprier pour mon propre dessein (dessin). Mais à l’inverse des figures féminines précédentes que leur destin a tenu dans les profonds recoins de l’histoire, les effigies des papes rayonnaient d’une puissance symbolique et sacrée.

Initialement donc, je dispose d’une sélection choisie des gravures originales extraites de la collection publique (plus précisément des fichiers numériques de ces œuvres). La pose des souverains pontifes est hiératique et conventionnelle, de face, de profil ou sur un trône. La figure est inscrite dans un rectangle ou un médaillon. En pourtour, un cartouche en langue latine et des armoiries en précisent l’identité et les titres honorifiques.

Leur observation attentive donne corps à des croquis préparatoires sur calque qui vont devenir mon « matériau de base ». Ils s’accumulent au fil des séances de travail, autonomes, ou se rassemblent au besoin par fragments épars pour générer une composition nouvelle. Le motif s’épure, limité au vocabulaire du trait et de l’aplat enrichi de fragments de graphie latine aléatoirement puisés à la source, sans souci de cohérence de sens.
Le portrait se déleste de l’auréole des savoirs et des connaissances qui le singularisait.

L’original cesse d’exister au profit d’une proposition graphique de lecture qui est mienne, parfaitement imaginaire, subjective et minimaliste dans la forme.

S. Thomassin, portrait d’Innocent XII (1696) / Michael Labhardt, portait d’Innocent XIII
source : Cabinet des estampes, Nancy.

Jean-Charles Taillandier,  » outre-temps 1 / outre-temps 2 « , essais sur papier, format 30×30 cm, 2023
ci-dessous : calques préparatoires et planche.

Jean-Charles Taillandier,  » outre-temps 3 « , maquette sur papier, format 30×30 cm, 2023
ci-dessous : planche et calque préparatoire.