La duchesse infortunée

Vu au Musée lorrain de Nancy l’étrange petit portrait en pied d’une enfant de 4 à 5 ans, daté des années 1610. Elle est rigide et comme statufiée dans des habits de princesse. Elle nous fait face, les bras légèrement écartés le long du corps dans un geste d’immobilité contrôlée, ou de crainte, ou de je ne sais quelle responsabilité qui tenaille ses frêles épaules. Mais, ce qui surprend le plus est son regard : deux yeux qui nous fixent, au centre d’un visage sans grâce où percent une inquiétude, une dureté, quand nous attendons d’y trouver encore une douceur et une innocence enfantine. C’est une enfant de la lignée complexe des familles ducales de Lorraine, portraiturée sur toile par un peintre demeuré anonyme. Un regard d’adulte dans un corps d’enfant, contemporain du peintre Georges de la Tour et du graveur Jacques Callot qui porta témoignage dans ses eaux-fortes des fêtes à la Cour ducale de Nancy, mais aussi des monstrueuses Grandes Misères de la guerre. Une notice sous le cadre m’apprend qu’il s’agit de  » Nicole, duchesse de Lorraine, fille du duc Henri II (1608-1657). »

Nous la retrouvons exposée plus loin sur les cimaises dans un second portrait daté du second quart du XVIIe siècle, également œuvre d’un peintre anonyme. Enchâssé dans un ovale, son buste de jeune femme émerge d’une curieuse architecture géométrique qui rappelle la façon dont a été traitée la figure féminine dans le double portrait de Nicolas et Madeleine Fournier daté de 1625 (reproduit dans ma précédente rubrique La gloire de l’écuyer). Il pourrait s’agir du même peintre. Enfin, nous la connaissons sous les traits d’une femme plus âgée, sous le titre « Madame Nicole de Lorraine, duchesse de Lorraine et du Barrois » dans une estampe gravée par Moncornet conservée au Musée lorrain.

Ci-dessus : – Anonyme, Nicole duchesse de Lorainne (sic) âgée de XIII mois
– Anonyme, Nicole, duchesse de Lorraine, huile sur toile, 2e quart du XVIIe siècle
Musée lorrain, Nancy

Une grande froideur se dégage du portrait peint de l’enfant, froideur qui relève non seulement de l’expression du modèle, mais aussi du traitement stylistique très minutieux de son vêtement d’apparat, de sa robe brodée et de sa coiffe dentelée. Mais c’est plutôt une expression de profonde mélancolie qui baigne le second portrait, le corps corseté de ces lignes obliques qui convergent vers ce point noir et lourd au centre de la poitrine.

J’ai entrepris d’aborder l’énigme de ce visage par de modestes croquis à la plume qui, d’emblée, mêlent en un obscur désordre la physionomie de l’enfant et de la femme. Que pourrais-je représenter par ces quelques traits, sinon une vision fantasmée d’une femme inconnue et lointaine, oubliée de l’Histoire ? (*). Ces dessins, dont j’en présente quelques uns ci-dessous, furent une fois encore des exercices de vagabondage autour d’un regard. De dessin en dessin, mon trait se raréfiait, s’écartait de ce que de rares mains inconnues avaient légué de cette obscure duchesse, et me conduisait jusqu’à son propre effacement.

(*) Après l’achèvement de cette petite série graphique, Plusieurs sources m’ont renseigné sur le destin funeste de Nicole de Lorraine (en particulier Pauvres duchesses, l’envers du décor à la Cour de Lorraine, par Jacqueline Carolus-Curien – Editions Serpenoise). Fille d’Henri II et de Marguerite de Mantoue, elle vint au monde en octobre 1608, deux mois après la fin des interminables pompes funèbres de son grand-père Charles III, cérémonie rituelle dont la magnificence devait montrer à l’Europe entière la puissance de la Maison de Lorraine (cette thématique graphique me passionnera plus tard par le biais de la Pompe funèbre de Charles III gravée par Friedriech Brentel – voir articles apothéose en noir, Chevalerie, et Les bas rouges). Duchesse héréditaire du pouvoir, elle fut mariée à 12 ans, par intérêt dynastique à son brutal cousin germain Charles IV qui n’aura de cesse de s’en débarrasser comme épouse pour accroître son pouvoir (jusqu’à faire condamner à mort pour sorcellerie, et sans preuve, le pauvre prêtre qui l’avait baptisée, afin d’annuler le mariage). Guerre de Trente ans, épidémie de peste en Lorraine, ruines et ravages de la guerre…, elle eu même droit, de son vivant, à une cérémonie solennelle de son époux en hommage à sa mémoire ! Répudiée, bafouée, chassée de la Lorraine en 1634, elle vivra une retraite de plus en plus solitaire à Paris jusqu’à sa mort en 1657.

Les dessins inspirés de ces portraits de duchesse font partie d’une série graphique, elle-même inspirée de portraits de la Renaissance Lorraine, choisis parmi les collections de peintures des Musées de Metz et Nancy, ou d’un recueil gravé par Peter de Jode conservé à  la bmi d’Epinal-Golbey.
Dans le cadre de l’Année Renaissance Nancy 2013, l’ensemble de ces dessins fut présenté au public lors de deux expositions distinctes :
– à la bibliothèque multimédia intercommunale (bmi) d’Epinal-Golbey  en mai-juin 2013,
– et à la Galerie Madame de Graffigny de Villers-lès-Nancy, en juin 2013.

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