Exposition « Poméranie -Lorraine »

Dorota SplocharskaMonidla, broderie sur tissus, chacune 60×60 cm.

La période du 2 au 23 juillet 2022 marquera d’une pierre blanche la rencontre fructueuse d’artistes polonaises au pays de Stanislas, à Nancy. L’exposition « Poméranie – Lorraine » eut lieu aux Ateliers du Canal, qui est devenu un lieu à vocation de rencontres culturelles et d’expositions selon les vœux de leurs fondateurs Catherine et Joël Krauss. En partenariat avec l’association Nancy-France Pologne, le projet a été élaboré sous l’égide de Dorota Szymanska, membre de l’association des Ateliers du Canal et elle-même artiste d’origine polonaise vivant à Nancy. Riche d’animations et de rencontres, il permit d’accueillir un groupe de huit femmes artistes dont certaines sont membres du collectif Teytoria Stowarzyszone (« Territoires associés »). Autodidactes ou issues des Académies ou Universités d’art de Gdansk, Varsovie et Poznan, elles s’expriment dans des domaines de prédilection souvent multiples (dessin, peinture, photographie, installation, tissage, sculpture), chacune témoignant d’un univers singulier. Ce qui ne contrarie pas le fait de partager des motivations communes, voire intimes, au cœur de leur démarche artistique. Jusqu’à donner à l’exposition une unité de ton et d’émotion, largement partagée par le public nancéien qui découvrait ces artistes.

Un témoignage de reconnaissance, commun a plusieurs de ces artistes, s’adresse à Elzbieta Tegowska, qui fut leur professeur et dont l’exposition présente plusieurs œuvres. Citons Dorota Szymanska :  » Avant de faire les beaux-arts, j’ai pris des cours auprès d’Elzbieta Tegowska. Et plusieurs de ses élèves , qui ensuite ont poursuivi leur carrière, comme moi en France, en Angleterre, etc…, ou sur place en Pologne, se sont réunis en un groupe indépendant d’artistes, et c’est ce groupe « Territoires Associés » qui constitue le cœur de cette exposition… ». En qualité d’enseignante, elle a encouragé nombre d’élèves dans leur démarche personnelle d’artiste, et l’exposition lui rend hommage. L’art est pour elle un carrefour de dialogue entre les cultures, à travers le temps et l’espace. Plusieurs de ses œuvres exposées ici (peintures et dessins) témoignent d’un art spontané, très libre, aux carrefour des peuples et des classifications de l’histoire de l’art. Son langage se déploie autant dans le graphisme minutieux du trait à l’encre de Chine sur papier blanc, qu’en peinture épaisse et volubile mettant en valeur les contrastes de couleurs vives.

Les dessins à la mine de plomb de Magda Nowak partagent eux aussi cette dynamique de spontanéité et d’improvisation, à la poursuite, ou plutôt à la recherche effrénée d’un visage (celui de l’enfance ?) que le tournoiement du trait finira par cerner en effigie dans le vaste blanc de la feuille. C’est là un exercice de l’œil et de la main, dans un élan qui, au final, cernera les contours et le regard du personnage. Nous ne sommes pas loin de l’acte photographique dans cette suspension du temps, et aussi du dessin d’enfant dans son innocence du geste. Ses effigies de format modeste côtoient dans la seconde salle de l’exposition un quatrième dessin où l’exercice graphique est renouvelé avec une grande amplitude du geste. Dans tous les cas, c’est une grande économie de moyens qui s’allie au minimalisme du trait sur une simple feuille blanche.

Elzbieta Tegowska – huile sur toile, 30×25 cm, année 1994.
Magda NowakEffigie, dessin à la mine de plomb, 21×29 cm.
Ursula Borysiak – Installation
Marie Novakowski – Homme nu, acrylique sur papier, 15×20 cm.

Un thème récurrent dans l’exposition est celui de l’enfance, qu’il soit abordé sous l’angle de l’innocence, de l’irréel ou du rêve, ou bien dans la nostalgie d’un retour sur les années passées.

Dans le cas d’Ursula Borysiak, il se double d’un travail de mémoire et de retour sur ses racines. Artiste autodidacte d’origine polonaise née en France, elle invite, dans son intime cabinet de curiosités, de menus objets du quotidien à faire retour sur son enfance et ses racines familiales bouleversées par la guerre et l’exil de ses parents. De petites boîtes vernies emplies de gommes, noisettes, crayons mâchonnés portent témoignage de cet univers d’enfance que l’on devine encore à vif. C’est tout un cheminement mental qui parcourt à rebours les cartes topographiques présentées au mur, qui délimitent le périmètre de jeunes années dans un temps troublé où l’école a joué un rôle déterminant sur le chemin d’émancipation et d’évolution de l’artiste.
Marie Nowzakowski partage aussi, par l’expression artistique, cette nostalgie des origines. Née de père polonais, elle habite dans les Vosges. Elle s’exprime par l’encre et l’acrylique dans des œuvres pleines de couleurs. Elle pratique aussi l’affiche et l’illustration dans des thématiques baignées de culture populaire. Son style naïf, tourné vers l’allégorie, se superpose à des motifs singuliers chargés de symboles, qu’elle peint sur des œuvres sur papier, ou dans des cadres petit format pleins de poésie. Une façon bien à elle d’explorer l’intime et le monde de l’enfance… « C’est en me déplaçant en Pologne que j’ai enfin compris pourquoi !« .

Alors qu’ Ursula Borysiak trouve une empreinte affective à son passé dans les recoins d’une trousse d’écolière, Dorota Splocharska, elle, choisit comme support de prédilection les tissus usagés qui appartenaient à des membres de sa famille : broderies, nappes, bandages, draps de literie. Ils sont comme une seconde peau qui abolit le temps et tissent avec les disparus une perpétuelle présence. Présentée à l’exposition sous le titre Monidla, les trois portraits de ses proches brodées sur toile légère flottent dans l’air, et dans leur fragile matérialité ont la légèreté d’un souvenir. Une notice explique que l’artiste prolonge dans son geste une ancienne coutume polonaise qui retouchait les portraits photographiques anciens de couples mariés ou célibataires en soulignant leur lèvre de couleur rouge, et leurs yeux de couleur bleue. Le tissu devient acte de transmission de mémoire, et revêt une portée symbolique, qui transcende le passé, telle une image sacrée.

Outre l’art de la broderie qu’elle présente ici, aux côtés de trois tentures de grand format, Aska Borof s’exprime par l’installation, la vidéo et le chant. Elle est passionnée de musique folklorique et a créé un groupe de chant et de performance Tricorki (les trois sœurs). Paraphrasant les ressources plastiques de l’art sacré, elle brode elle-aussi sur le linge ancien. Son inspiration plonge aux racines profondes de la campagne polonaise, dans une approche quasi-ethnographique des superstitions. J’y vois un art fort de dénonciation de l’emprise religieuse ancestrale dont la femme a été le réceptacle principal. C’est un détournement subtil de l’art de la broderie pour interroger les normes sociales, il est naïf dans son aspect formel, mais très politique dans le message féministe qu’il délivre.

Aska BorofBroderie, 32×24 cm.

Et puis, dans une philosophie de l’art, qui peut être un héritage de l’enseignement d’Elzbieta Tegowska évoqué plus haut, il existe une voie qui laisse à l’artiste l’absolue liberté d’exprimer son expérience du sensible et de son monde intérieur, ouverte à toutes fantaisies et expériences formelles. De la même façon aussi, libre au spectateur qui découvre l’œuvre de la recevoir et la ressentir à sa façon selon son humeur et la spontanéité du moment. C’est le cas de la création de Dorota Szymanska qui donne à découvrir en transparence un monde coloré peuplé de fleurs et de textures né de l’expressivité d’un instant. Les fines couches de couleur à l’aquarelle ou huile se superposent pour donner corps à l’image, dans une fugacité et légèreté des formes qu’accentue encore la finesse du support. Faut-il y voir la réminiscence d’une vision d’enfance de la même façon que l’imagination la déploie dans les peintures et dessins d’Anna Sokolska ? Dans les deux cas, c’est une tentative personnelle de raconter l’invisible, dans un état de disponibilité sereine ou chaotique exprimée chez l’une par des couleurs, des formes ou des textures, et chez l’autre par un recours à l’onirisme et le monde de l’enfance. Au premier regard, nous sommes surpris chez Anna Sokolska par l’omniprésence du squelette qui ferait osciller sa peinture entre l’univers surréaliste et la peinture de Vanités. Mais il n’y a rien de macabre dans cette représentation, juste une envie poétique de découvrir avec un regard juvénile ce que peux bien cacher sous sa peau l’intérieur d’un corps humain ou d’animal, à la façon dont on démonterait le boîtier d’une horloge pour en découvrir le mécanisme secret de ses aiguilles. Chez ces deux artistes, c’est une invitation à l’imaginaire pour découvrir l’au-delà des apparences.

Dorota Szymanska – Peinture sur tissu, 80×120 cm
Anna SokolskaSniezne Serce, acrylique sur bois, 100×70 cm.

Et pour clore cette visite d’exposition, je vous invite à un dernier coup d’œil (cliquer sur l’image) :

https://www.facebook.com/TerytoriaStowarzyszone/

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