Portraits invraisemblables

La suite Outre-temps, gravée sur dalle de sol vinyl, est désormais close avec l’achèvement du tirage de la dix-septième et ultime pièce composant l’ensemble. Trois articles précédents de mon blog (La gravure dans tous ses états, puis Portraits d’outre-temps, et enfin Toute figure est un monde) ont été consacrés au déroulé de ces travaux en atelier, depuis leur genèse à l’été 2022. En quelques mots, je rappellerais à mes nouveaux amis lecteurs que cette suite gravée est un exercice sur la thématique du portrait qui me tient à cœur. Plus précisément dans ce cas, elle questionne mon regard confronté à l’image ancienne, par sa nature même chargée d’anachronisme et de mystère. Cet attrait pour le visage d’un autre temps n’est pas nouveau pour moi. Je l’ai pratiqué en dessin et gravure, avec mes tentatives d’approche de portraits d’inconnus qui dorment dans les réserves des musées (voir l’article Portraits vains). Mais dans le cas présent, il ne s’agit pas d’anonymes oubliés de l’histoire, mais de portraits gravés de papes, puisés dans les trois volumes d’une collection privée désormais conservée au cabinet des estampes de Nancy : une précieuse iconographie à la disposition de mon invention…

Ce qui m’interpelle dans cette collection unique n’est pas le portrait individualisé très codifié de chacune de ces personnalités. Au temps lointain de leur diffusion, ces estampes transmettaient le portrait de l’homme le plus puissant dans le vaste espace géographique de la chrétienté. Elles étaient beaucoup plus qu’un portrait, elles étaient vecteurs d’un pouvoir immense que chacun pouvait approcher par le biais d’une simple image imprimée.
Mais bien loin de leur temps, comment ces images me parlent encore, au delà de leur vraisemblance ?
… Une aubaine au profit d’un imaginaire graphique personnel, parfaitement subjectif et libre,
C’est un no man’s land temporel, stylistique et sacré que j’ai tenté de franchir avec mon langage de graveur.

L’imaginaire prenant le pas sur l’aspect analytique de l’image, les singularités de chaque visage se dépersonnalisent. Dans ma volonté affirmée de ne plus les assujettir à leur vérité historique, je n’ai pas cherché à me renseigner sur l’histoire de ces papes et leur destin. Leurs traits deviennent signes, comme deviennent signes les inscriptions latines qui accompagnent en bordure dans des cartouches l’identité du sujet. La graphie des visages et des écritures se dissolvent au profit d’un nouvel alphabet plastique qui sera le matériau de mes images sur les calques, dessins préparatoires et textures de fond.

Priorité à l’image, donc…

Afin d’illustrer l’esprit de cette suite gravée Outre-temps qui comprend au total dix-sept œuvres différentes , je vous présente ci-dessous le processus aboutissant à deux gravures distinctes de la suite gravée, toutes deux inspirée de la gravure originale ci-dessous, qui fait partie du premier recueil :

Portrait du pape Jean XVI, né Johannes Phil Agathos, mort en 998.
Eau-forte XVIe siècle, artiste inconnu .
Recueils de portraits gravés des papes, 3 vol., Bibliothéque Stanislas, Nancy.

Je privilégie le dessin du regard qui va s’imposer dansune mise en place graphique dans un carré de 30 cm de côté.
Ce format est commun à toutes les planches de la série. L’ébauche générale est tracée sur papier calque inversible
(ne pas oublier que l’image doit être pensée à l’envers en prévision de l’impression future sur papier report).
Des corrections ou ajouts s’opèrent sur des fragments de calque collés en superposition.
Une ébauche de couleurs ou grisé sur papier, placée en couche inférieure aide à la mise en place
des masses et au partage des surfaces en deux planches qui se superposeront à l’impression
(planche 1 imprimée en noire, planche 2 imprimée en rouge).

La structure générale de l’image étant acquise sur le calque d’ébauche, elle est reportée sur la planche vinyl préparée.
La gravure en creux à la gouge peut commencer, évidant ce que seront les zones préservées de l’image imprimée.

Planche 1 imprimée à l’encre noire

Planche 1 imprimée à l’encre noire et planche 2 imprimée en rouge

IOANNES XVI : impression sur papier des 2 couleurs en superposition.
Estampe finale numérotée et signée.

Seconde ébauche à partir du portrait d’origine du pape Jean XVI.
Sur la planche 1 destinée au noir, je prévois sur la partie basse la graphie d’un manteau que je soulignerai de rehauts de rouge avec la planche 2, Sur la partie droite, large composition latine verticale empruntée à une autre gravure originale. Même principe du calque pour déterminer le positionnement de l’image d’ensemble.

Je commence ici le travail de gravure sur la plaque vinyl, réservée au noir,
après avoir effectué le report du tracé au crayon.

Le travail de gravure avance après avoir évidé complètement l’emplacement réservé à la couleur rouge.

Fin du travail de gravure de la planche 1 destinée à être encrée en noir.

PONTIFEX MAXIMUS : sur presse, impression sur papier des 2 couleurs en superposition.
Estampe finale numérotée et signée.

Puis arrive le temps du tirage des épreuves sur ma presse,
et séchage à l’atelier…

OUTRE-TEMPS, une suite gravée

Dix-sept gravures sur dalle vinyl
Format de chaque planche : 30 x 30 cm
Impression sur papier parchemin Fabriano, 230 gr, format 50 x 70 cm
limitée à 20 exemplaires, par l’artiste à son atelier.

La suite complète OUTRE-TEMPS sera disponible sous cadre
à disposition des galeries et artothèques.
En préparation pour 2024 : une édition de tête sous coffret,
en collaboration avec les Editions 379 – Galerie artothèque 379, Nancy.

Pour tout contact : taillandier.jc@orange.fr

Et on se quitte avec la douzième gravure de la suite Outre-temps : SCALCHUS

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