Odile Kolb, ich bin megalith


Je connais le travail d’Odile KOLB depuis des années. Elle poursuivait sur une ligne de crête étroite sa voie exigeante qui fait vibrer les plus infimes résonances d’une palette restreinte ou dominent le noir, le gris et le rouge. Sa démarche si singulière offre au regard une peinture dépouillée à l’extrême dont la quintessence tentera d’exprimer en quoi l’Art peut sauver l’homme de sa sauvagerie naturelle : « Comment pourrais-je faire de la peinture réaliste actuellement, ce serait pire qu’une toile noire ! », clamait-t-elle.
C’est une peinture de révolte qui s’expose dans sa nudité pure au regard du spectateur.
Depuis plus de trente années, Odile Kolb, à l’œuvre sans relâche dans son étroit appartement-atelier de Metz, s’immergeait dans sa peinture, rageant contre le désordre (désastre) du monde. Elle en fouillait les entrailles avec son pinceau-scalpel, prenant le spectateur à témoin. C’est une œuvre de haute exigence, et aussi une œuvre de partage et de contemplation, qui sollicite notre temps et notre attention. Osons à ce propos cette citation de Rothko : « A travers le temps, de point en point, l’œuvre d’un peintre progressera vers la clarté, vers l’élimination de tous les obstacles entre le peintre et l’idée, et entre l’idée et l’observateur »

« Ich bin ein megalith« , proclamait-elle…


Suite Fukushima, pigments et sable sur toile. La série entière comprend 10 toiles, chacune 50 x 100 cm .

Pourtant, ne nous y trompons pas : la puissance visuelle de cette peinture n’est pas tant dans sa force brute, mais dans la subtilité tactile des surfaces. Quand Odile évoquait son travail d’atelier et sa confrontation intime au matériau, elle privilégiait très vite l’importance de son rapport presque charnel avec la matière, fût-il l’acrylique, l’encre, la pierre noire ou le sable. Elle en parlait d’ailleurs volontiers en caressant sa toile du bout du doigt. Une sensibilité la traversait, bien au-delà de l’apparent nihilisme que pouvait traduire le titre  « le chien, la mouche et moi » qu’elle avait souhaité donner  à son exposition de novembre 2012 à la chapelle des Trinitaires de Metz…
L’actualité du moment avait alors donner corps à un ensemble des dix panneaux « Série Fukushima » peints dans l’immédiateté des semaines qui avait suivi ce drame nucléaire au Japon. Nous les retrouvons dans l’actuelle exposition, clamant toujours dans une proximité des blancs, des gris et des ocres, la protestation d’une démesure humaine où se mêlent les aciers, les sables contaminés et une mortelle lumière, loin de toute présence humaine.

Est-ce le même message que portent ces grands formats, d’où sourd une lumineuse présence parmi d’informes étendues grises ? Si l’homme ne peut plus croire en l’homme, il peut croire encore en la peinture avec Odile KOLB.



Ci-dessus 1-2-3 – Sans titre, pigments acryliques et collage sable sur toile, 89 x 116 cm



g: Sans titre, pigments acryliques et collage sable sur toile, 76 x 100 cm
d : Sans titre, acrylique sur toile, 180 x 155 cm


Exposition « Ich bin megalith » – Odile KOLB
Château de Courcelles, 73 rue de Pont-à-Mousson, 57950 Montigny-lès-Metz
Tel : 03 87 55 74 16 –  http://europa-courcelles.montigny-les-metz.fr
du 01 février au 29 mars 2020 – Vendredi/samedi/dimanche,  de 14 à 18 h.
Catalogue disponible, avec texte de Raymond Oillet
Photo affiche Florian Martin.

Joël Krauss, masques : les affres de la guerre

Joël KRAUSS, les affres de la guerre 1 et  2, 3, 4, 5 (ci-dessous)
Bronze patiné sur socle altuglass, exemplaire unique.
Hauteur 30 cm (45 cm avec socle), année 2018. (Cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Le langage de l’art au plus proche du vécu : c’est l’expression la plus pertinente qui me vienne à l’esprit pour définir le geste artistique de Joël Krauss.
Soit donc un ensemble de dix-huit visages de métal sculptés, ces « masques de bronze » tels qu’il les définit, et qui cristallisent les derniers instants de soldats au combat.
Joël Krauss, lui-même Grand Invalide de Guerre, est aussi peintre, mais d’une peinture apaisée. Il a fallu sans doute intimement chez lui la confrontation tactile la plus brute à la matière, au plus proche de la terre, pour affronter l’expulsion de ce cri resté longtemps en son être comme en hibernation. Cette expérience de sculpteur, nouvelle dans son parcours d’artiste et si intimement liée à son vécu, fait de lui le plus apte à en parler, et nous lui laisseront la parole.
Nous, simples regardeurs, recevons cette création comme témoignage d’un passé et d’un vécu douloureux, dont l’Histoire n’est hélas pas avare. Mais elle est aussi un manifeste pacifiste offert à l’humanité présente et future. Ce qui est une définition noble de l’œuvre d’art…

Je suis né en Lorraine, terre de combats. Ses paysages conservent la trace des bouleversements liés aux millions d’obus qui ravagèrent les sols, marqués par ces combats acharnés que soulignent le piquetage des croix et des stèles blanches de nombreux cimetières militaires.
Lors de mon service militaire, effectué comme officier appelé en Algérie, j‘ai été grièvement blessé et suis devenu Grand Invalide de Guerre. La souffrance, l’approche de la mort m’ont amené à chercher un moyen de faire ressentir et de transmettre la souffrance et les affres de la mort de ceux qui partaient pour la guerre.

      J’ai fait le choix de la guerre terrible de 14/18, en tentant d’imaginer ces affres de la mort qui hantaient les soldats montant à pied vers le front, vers les tranchées. Ils savaient que la moitié d’entre eux ne survivraient pas à ce long trajet, et que les survivants seraient blessés, certains physiquement, mais tous psychologiquement, à vie.
Ces affres de la mort étaient pour eux s’imaginer déchiquetés par les éclats d’obus ou enterrés vivants lors des pilonnages infernaux, lorsqu’une partie de la tranchée était pulvérisée par les obus. C’était aussi s’imaginer fauchés par les tirs de mitrailleuses lors d’assauts vers les lignes ennemies. C’était aussi s’imaginer, lors d’un assaut ennemi, être réduit en momie calcinée par un jet de lance-flamme ou mourir d’une longue asphyxie dans une nappe de gaz toxique. C’était enfin une désespérance immense qui les rongeait, de penser que leur vie allait s’arrêter là, leur ôtant la possibilité de vivre une vie d’homme, de mourir sans avoir aimé. Cette angoisse sur leur devenir s’amplifiait de jour en jour alors qu’au front, ils voyaient leurs compagnons de combat succomber.
J’ai imaginé, alors que la mort les atteignait, que les affres de la mort qui les hantaient, se cristallisaient sur leurs visages, les transformant en masques de soldats inhumains d’une guerre inhumaine.

      Ces masques de bronze reconstituent une apparence imaginée de visage dans la stupeur de leurs derniers instants. Et pourtant, les masques inhumains qui remplacèrent leurs visages conservent encore quelques traits humains.
L’idée de départ qui a guidé la conception de ces masques était une tentative d’exprimer, pour le centenaire de la guerre de 14/18, la violence infernale et les affres de la mort insupportables que subissaient les soldats sur le front des combats.
Puis progressivement, ce qui a guidé la conception artistique de ces masques a été la volonté d’utiliser cette tendance naturelle qu’a le cerveau humain de percevoir des visages là où il n’y en a pas : la paréidolie.

Torturée, l’apparence des visages fait ressentir l’immense souffrance de ces soldats qui voulaient que cette guerre de 14 / 18 soit la Der des ders !
Joël Krauss

Les sculptures de Joël Krauss seront visibles à son atelier les 11 et 12 mai prochain à Nancy pendant les Ouvertures d’atelier du Grand Est (voir ci-contre).
Ateliers du Canal (ateliers partagés) – Impasse du 26e R.I., 54000 Nancy
Avec ses invités :
         Jean-François Laurent (sculpture)
         Marie-Claire Chevillot et Lakonik (peinture)
         Elisabeth Poydenot et Jean-Charles Taillandier (dessin/gravure)

Coordonnées de l’artiste Joël Krauss : Tel 06 71 00 32 03
j.krauss@free.fr

Les Baltiques, de Claudine Rémy

Je suis couché sur mon lit les bras en croix. Je suis une ancre confortablement enfouie qui retient l’ombre profonde au-dessus d’elle. Cette grande inconnue dont je participe et qui est certainement plus importante que moi.
Tomas Tranströmer
Baltiques. Œuvres complètes – Poèmes 1954–2004, éd. Gallimard

les baltiques1

Claudine REMY, les Baltiques  1, et ci-dessous 2 à 6,
pigments acryliques sur  papier marouflé, 31,5 x 24 cm (2017/2018).
Photos©Nicolette Humbert

      L’exposition Baltiques de l’artiste Claudine Rémy nous accueille sur les cimaises de la galerie 379 de Nancy (*) avec une nouvelle série de plus de 20 peintures sur carton, pour la plupart de format 31,5 x 24 cm, travaux inédits aux surfaces mates et suaves et aux couleurs de terre et d’eau. Notre regard ne s’accroche pas ici à l’abrupt surgissement de formes qui déchireraient l’espace mais plonge dans une béance sourde à la lisière d’un matin ou d’un crépuscule incertain, parfois creusé de trouées blanches ouvertes sur une lumière intemporelle.
A défaut donc de repères tangibles, le regard tente dans une première approche d’ordonnancer quelques volumes, ouvertures dans l’espace et lignes d’horizon, afin de percer cette géographie du songe ou de la mémoire, sachant d’instinct qu’une vérité s’y cache appartenant à l’intime de l’artiste : un vestige de présence ou une mémoire enfouie…

      L’analogie est saisissante entre Baltiques, cette série nouvelle de peintures, et les séries antérieures intitulées Le pont d’amour et Têtes métaphoriques présentées déjà à la galerie 379 en 2011 (voir article Le pont d’amour de Claudine Rémy). Celles-là étaient nourries d’images mentales au carrefour d’une nostalgie d’enfance vécue sur les rives des lacs vosgiens et de souvenirs maternels. On observait déjà dans ces œuvres le même phénomène de transmutation du paysage mémoriel en peinture : « Que cette Terre soit fleurie, meurtrie ou universelle, c’est l’obsession d’un chez-moi, d’une demeure, d’une âme sœur, d’une mémoire, d’un sentiment d’appartenance qui se révèle. J’habite dans mes peintures. Les peindre est une sortie. » (Cl. Rémy, extraits).

      Il s’agit de quête, cette fois encore, inspirée non pas de l’album familial mais puisée dans l’expérience vécue d’un voyage en Allemagne, dans la région côtière de la mer Baltique, sur les traces de son père qui fut prisonnier de guerre, là-bas, au camp de Torgelow, de 1940 à 1945. Il en revint, meurtri, mais parla très peu par la suite de cette expérience douloureuse.

      Sa fille artiste portait en elle ce mutisme comme une lointaine souffrance  et elle avait ce désir fort de retourner sur ses pas, tout là-haut vers le Nord. En 2017, elle a fait ce voyage;  elle a découvert sur place quelques rares vestiges du camp et un mémorial. Elle s’est immergée dans le paysage, esquissant de tout son être une commune réalité entre elle et son père. De retour à l’atelier, elle travailla une année à cette série de peintures, bardée de ses souvenirs, ses ressentis et de tous ses  croquis et repérages photographiques. Et comme enveloppée, imprégnée aussi de l’œuvre de Tomas Tranströmer, ce grand poète suédois maître de la métaphore, dont les écrits, explorant la splendeur de la nature nordique et notre relation intime avec le monde, ont, dit-elle, « cimenté » son travail de peintre.

      Le souvenir du père ressurgit dans ce patient ouvrage intime qui va au-devant de sa figure lointaine et absente dans l’empreinte de ses pas. C’est une expérience de décantation dont le peintre est le médium et la peinture un espace ouvert à toutes les expériences sensibles, pour faire affleurer à la surface du papier ces entrelacs de paysage vécu, d’imaginaire et de nostalgie profonde. La nature sauvage de la Baltique et ses lointains horizons englobent l’espace entier du cadre, tendu au bord du réel, au-delà de toute temporalité.
C’est un paysage que l’on devine ou qui se cherche peut être lui-même, gardant en son sein la figure emblématique du père, laissant apparaître où bon lui semble la trace de sa présence : dans l’évanescence d’une rive sablonneuse, en lisière de forêt ou au milieu des embruns, les bras en croix telle une « ancre confortablement enfouie« , celle-la même qu’évoque la poésie de Tomas Tranströmer.

les baltiques2

 


(*) Galerie 379, 379 avenue de la Libération, Nancy / Exposition jusqu’au 13 octobre 2018
Ouverture du mercredi au samedi de 17 à 19 h et sur RV : 06 87 60 82 94 / 06 83 09 58 13
http://claudineremypeintures.ultra-book.com/ 
Remerciements à Nicolette Humbert pour les photographies .   

Chambre d’ombre, de Patrick Jacques

Chambre d’ombre est un titre tout nimbé de mystère d’une exposition du photographe lorrain Patrick Jacques (*), présentée par la SAMM (**) à la médiathèque Victor Hugo de Saint-Dié-des-Vosges jusqu’au 24 décembre 2016. Un retour aux sources où il a grandi et a affirmé un talent reconnu dans le milieu photographique (Vis-à-Vis international, le Monde et Libération…), et présenté à plusieurs reprises sur les cimaises des Rencontres internationales de photos d’Arles. Auteur de nombreuses commandes et reportages en Lorraine, et pédagogue (il enseigne depuis vingt ans la photographie à l’Ecole supérieure d’arts de Lorraine d’Epinal), il affirme ici une fois de plus son intérêt pour toute forme d’approche expérimentale de la photographie. Au même titre qu’il avait, par exemple, participé à la réalisation d’un sténopé avec les élèves d’un lycée professionnel de Morhange en 2004-2006. Ici encore, en l’occurrence, ce versant de son œuvre singulière aurait pu avoir pour titre « aux sources du regard » car il en réfère à l’œuvre et expérimentations de pionniers de la photographie.

Patrick JACQUES, Mur carafe, photogramme, environ 40×40 cm.
Bas : Verre bille, photogramme, environ 28×40 cm. © P. Jacques

Ce présent travail est un retour jusqu’aux aux gestes fondateurs de l’artiste hongrois Moholy-Nagy ou du photographe Man Ray qui dans les années 1920 expérimentaient les techniques du photogramme. Soit donc, dans l’essence minimaliste du geste photographique l’exposition à la lumière d’un objet posé sur un papier sensible, sans recours à l’objectif d’un appareil photographique. Dans l’espace clos et noir du laboratoire, une image naît de la simple exposition d’objets à la lumière. Pas n’importe quels objets dans ce contexte précis : des objets de verre et de cristal car ce travail de laboratoire entrepris par Patrick Jacques est le dernier volet d’une restitution de résidence photographique (Le rayon verre) consacrée aux métiers du verre dans la région lorraine, initiée et portée par l’association Surface sensible. Par ailleurs, deux autres volets concernent, l’un, un travail en studio avec des modèles qui se cachent sous une plaque de verre ou bien jonglent avec des billes de verre (dont plusieurs clichés sont présentés ici dans l’exposition), et l’autre, une rencontre avec les verriers sur les quelques sites de fabrication, encore en activité ou en passe à l’oubli. Il en a observé dans les ateliers les techniques de fusion et de façonnage de la matière brute.

De l’art fascinant et magique du verrier aux spéculations du photographe se coltinant aux lois de la lumière, le lien est étroit. Et sans doute, dans l’œil du photographe, l’étincelle de mystère qui habitait les inventeurs des clichés- verre de l’école de Barbizon n’est pas éteinte : le même étonnement, la même appréhension de l’image qui surgit du néant… Car il n’y a pas d’art sans cette part de mystère que l’on redoute tout en le sollicitant.

Et la même chose vaut pour le regardeur passionné que je suis à ce vernissage d’exposition, qui découvre ces images énigmatiques en noir et blanc, au grain de peau si subtil qu’on le croirait né sous le berceau d’un graveur de manière noire. Des formes imprécises émergent d’un noir ou gris velouté, si imprécises que l’esprit n’a d’autre recours que de faire appel à ses propres ressources pour clore une interrogation inconfortable. Que représente cette image ? La proue d’un navire dans une nuit de tempête… ? Une fantasmagorie d’ombres chinoises…? Et l’on à peine à croire finalement que le sujet d’étude du photogramme est une simple cruche de verre métamorphosée sur le papier sensible par une intervention subtile et maîtrisée de la lumière.

C’est à ce bel échange que nous convient les photographies de Patrick Jacques. Ne les manquez pas…

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Patrick JACQUES, sans titre 1 / sans titre 2, photogramme, environ 40×60 cm. © P. Jacques

A noter que l’exposition s’accompagne de la publication du livre Chambre d’ombre. Sa grande qualité éditoriale présente en symbiose parfaite les photographies de Patrick Jacques avec une nouvelle de Julia Billet qui évoque une ville aux frontières de verre (livre dessiné par Cyril Dominger – Editions du Pourquoi pas, 88000 Epinal).
(*) Site internet de l’artiste : http://patjacklulu.wix.com/patrick-jacques
(**) SAMM, Société des Amis des Médiathèque et du Musée Pierre Noël, en partenariat avec la ville de Saint-Dié-des-Vosges. Son président est le critique d’art Pierre Van Tieghem, par ailleurs commissaire de l’exposition. Exposition Chambre d’ombre, de Patrick Jacques
Du 05 novembre au 24 décembre 2016
Médiathèque Victor Hugo, 11 rue Saint Charles, 88100 Saint-Dié-des-Vosges
Fermée dimanche et lundi / Tel 03 2951 60 40
Une rencontre entre Patrick Jacques et le public est prévue le samedi 10 décembre 2016 à 16 heures.

Jacques Koskowitz, la rigueur dans l’art

      Artiste lorrain, Jacques Koskowitz (1932-1997) a vécu quarante ans à Vandoeuvre. Sa ville lui rend aujourd’hui hommage en donnant son nom à la salle d’exposition de la Ferme du Charmois où une exposition de ses peintures, dessins et sculptures est présentée au public (*). C’est une opportunité trop rare de découvrir l’œuvre rigoureuse, multiforme et sans concession, à l’image de son auteur.

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autoportrait

Haut : Jacques KOSKOWITZ, « Café mon enfant », huile sur toile, 60×80 cm;
Cette peinture a le même titre que la biographie de JK dans laquelle il raconte son enfance dans le café de son père.
Bas : – Portrait de Jacques Koskowitz / personnage en carton peint, h.170 cm. © jc Taillandier
Portrait de Jeannine Rollot, huile sur toile, détail, vers 1970 / Personnage, carton, détail.©Blog les amis de JK.

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Les débuts
Pédagogue inspiré en lycée, école normale puis école des beaux-arts, il a transmis à de nombreux élèves sa vaste connaissance de l’art et au-delà, la culture de son époque. Insufflant savoir technique et vagabondage érudit parmi les grandes oeuvres du passé, il offrait à chaque étudiant plus qu’un savoir, il ouvrait le regard. En grand admirateur de Van Gogh, qu’il appelait fraternellement Vincent, il en lisait assidûment Les lettres à son frère Théo. Je dis fraternellement car il partageait sans doute intimement avec lui une précarité de vie teintée d’absolu dans une société qui ne reconnut pas son œuvre à sa juste valeur. Artiste à multiples facettes, il se tournera vers la production de films d’art pour FR3 consacrant des courts métrages à l’ensemble de ses pairs lorrains tels Ligier Richier, Georges de La Tour ou Claude le Lorrain, ou vers le décor de théâtre, ou la création d’affiches, la bande dessinée. Dès les années 60, il ne cessera de peindre, d’abord à la manière de Cézanne et Van Gogh,  pour aboutir dans les années 70 à une peinture très personnelle à la limite de l’abstraction, et avant un retour tardif au figuratif. Dès 1976 naîtront les Rouges Verts, ces clowns diaboliques et féroces créés avec son ami Michel Piotrkowski pour la troupe de théâtre « Piotr et Ko… et à la musique Bichou« .

      J’ai côtoyé et apprécié longtemps Jacques Koskowitz, cet homme secret et silencieux, voire taciturne, qui faisait partie du petit groupe d’artistes fondateurs de la galerie d’art contemporain associative Lillebonne de Nancy. Sa peinture violente et acérée, rigoureusement construite lui sortait du cœur comme un cri, éclaboussant à notre regard une colère et sans doute une douleur. Douleur née d’une enfance vécue pendant la guerre et l’Occupation,  et surtout générée de son sort d’appelé pendant la guerre d’Algérie. Par-delà l’apparence paisible de l’artiste, souriante et d’une humanité débordante, sa peinture en est paradoxalement sa face cachée qui braque en miroir la violence et la cruauté du monde. Terrible arme accusatrice que cette peinture ancrée dans son siècle, dans la lignée directe d’un Goya. Une violence sourde nourrit sa peinture et sa sculpture, mais qui ne s’installe jamais dans le confort d’un langage abouti. Il était ainsi, « Kosko », déroutant son fidèle public vers des voies inattendues, à la poursuite de territoires inexplorés, dont lui-seul en pressentait la cohérence. Il en fut ainsi de ses premiers portraits de pur classicisme des années 60, d’un figuratif évoluant progressivement vers l’abstraction avant un retour au figuratif. Son œuvre est une quête d’une vérité intime qui se joue des classifications esthétiques.

kosko51Haut : Jacques KOSKOWITZ, « paysage », huile sur toile, 80×33 cm, années 60.
Paysage ou portrait ? Une anamorphose présente un visage qui se desssine sur le paysage.© jc Taillandier
Bas : Sans titre, huile sur toile, 60×80 cm, vers 1970.©jm Dandoy

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       Dans une interview (La phrase et le reste, N°1, mars 1971) il questionne l’attirante blancheur de la toile encore vierge, avant le premier coup de pinceau qui scellera la rupture d’une harmonie préétablie, celle d’une lumière pure approchée par Malévitch et son carré blanc sur fond blanc… Absolu impossible de la peinture tout geste du peintre ne serait alors qu’une main tendue à « l’édification de la Règle parfaite ». Des plages de blanc surgissent dans la violence colorée de ses toiles, elles sont autant de trous d’air et de respiration dans l’échancrure des formes et la violence des couleurs.
Il mettra à contribution tout son vocabulaire plastique au service exclusif de cette vérité intime et fondamentale : violence du trait, du rythme, des lignes de force et des couleurs primaires qui transfigureront ces visages émaciés en masques ouverts à la béance du dedans, ou la frontière entre terre et ciel de ses paysages en geste rageur débarrassé de toute préoccupation du motif, impulsé du plus profond de son être. Ce geste qui strie l’espace, le lacère et le déchire est le geste fondateur du peintre solitaire, qui, comme il le citait lui-même « s’inscrit dans la durée, dans un travail en profondeur ».

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Jacques KOSKOWITZ, « tête de chien », h 40 cm / Boîte assemblage, carton, 25x30x25 cm.©jc Taillandier

      Ses personnages en carton ou bois, longilignes et colorés apparaissent dès 1976, sur la scène du théâtre, mais aussi en situation dans des lieux ouverts et quelquefois saugrenus. Hiératiques et froids, ils semblent tout droits sortis d’un univers de science-fiction, et sont acteurs muets d’un « théâtre de l’immobilité ». L’utilisation de la troisième dimension est récurrente dans son œuvre, à l’extrême enfermant ses personnages clownesques dans des espaces confinés, métaphore d’une télévision omniprésente condensant dans sa boîte noire la violence du monde et le formatage des têtes… Ce cri de révolte de l’art sort du cadre étroit de la peinture dont le langage exclusif serait désormais tenu  pour trop traditionnel et trop respectueux… Nous ne sommes plus dans l’exacerbation d’une révolte portée par l’expressionnisme des années 20. Ces personnages de carton sont bientôt rejoints par les Rouges-verts, deux clowns ricanants et cruels, émissaires du Mal dans un cirque de violence et de dérision. Ils sont les mutants agressifs des créatures burlesques  et diaboliques, les Pim Pam Poum, les Flash Gordon, les Pieds Nickelés qui peuplaient ses BD de jeunesse et l’enchantaient. Mais l’innocence a été perdue au contact de la cruauté du monde… Les Rouges-verts habiteront aussi sa peinture à la fin de sa vie, et leur humour grinçant peuplera surtout de nombreux dessins emplis de dérision cruelle et de désenchantement.


kosko81kosko91kosko121Jacques KOSKOWITZ, « Les Rouge-verts », dessins sur papier, 50×70 cm, années 80. ©jm Dandoy

      Plus qu’un peintre, Jacques Koskowitz était un plasticien. Il mettait à contribution de son message de révolte, toutes les ressources de la peinture, de la sculpture et du spectacle vivant, sans aucune concession aux modes. Nous pouvons sans doute parler à son propos de peinture tragique, d’une même peinture tragique qui animait Soutine, parce qu’elle traverse un temps tragique et que sa vie fut, elle-même, intimement traversée de tension et de désillusions.
Mais toutefois, l’optimisme n’y est pas absent. Le propos consiste à tenir tête, à dénoncer et à peindre encore, avec une foi inébranlable dans l’art. Il l’a écrit en ces mots :
« L’homme vieilli se refuserait de croire à l’incapacité qu’il serait de fixer la lumière intense qui, un court instant, d’une manière fulgurante avait ébloui le premier homme.
La dernière image qui nous reste de ce songe inconscient est celle de l’homme traçant l’ultime ligne du dessin. » (Jacques Koskowitz,  La phrase et le reste, hiver 1977)

(*) Exposition présentée du 19/09 au 13/10/2016 à la Ferme du Charmois de Vandoeuvre-lès-Nancy, et rendue possible par la collaboration et le prêt d’œuvres par la  famille et par les membres de l’Association des amis de Jacques Koskowitz.
Pour plus de renseignements sur l’artiste :
– Blog des amis de Jacques Koskowitz
– Blog Jean Michel Marche
– Association des Amis de Jacques Koskowitz,
14 rue du cheval blanc, 54000 Nancy, tel +33 (0)3 83 27 29 02.

3 Angles, regards sur le verre contemporain

      Dans la blancheur immaculée de ses trois salles d’exposition, c’est à une rencontre singulière que nous convie l’Espace d’art du Centre culturel Jacques Brel de Thionville. L’exposition collective 3 Angles présente trois approches de l’art contemporain autour du verre, en accueillant Yeun-Kyung Kim, Michèle Perozeni et Martine Luttringer. Trois artistes qui ont un lien étroit avec la Haute école des arts du Rhin de Strasbourg, puisque Michèle Perozeni y a été enseignante au sein du département verre, que Yeun-Kyung Kim lui a succédé et enseigne dans ce même atelier. Quant à Martine Luttringer, elle a fréquenté cette ancienne école des arts décoratifs en tant qu’élève pour devenir elle aussi enseignante en art appliqué auprès des élèves verriers à Sarrebourg.


3ANGLES2
Yeun-Kyung KIM – Au fil du temps, cristal noir, fil, miroir, 2015
1000 roses en cristal noir – dimension du miroir : 40 plaques de 74,5 x 74,5 x 2 cm 
ci-dessous détail

       Le seuil d’entrée franchi, la configuration des lieux a l’aspect épuré d’une vaste chapelle blanche, tel un écrin auréolé de silence et de respect pour accueillir ce matériau mystérieux, modelé, trituré, soufflé par l’homme depuis le fond des âges. Il en a fait sa matière de prédilection pour traduire le trouble des sens, son regard métaphorique porté sur le monde ou plus intimement encore le dialogue qu’il entretient avec lui-même. Elle est là, je crois, cette étrangeté habitée par le verre : dans sa capacité à abolir le temps et porter témoignage archéologique de la puissance créatrice de l’homme depuis la préhistoire, et aussi d’offrir à notre regard présent sa texture fragile, transparente et impalpable, sensible à la lumière de l’instant. L’exposition apporte la démonstration du langage évolutif du verre à travers les œuvres récentes des trois artistes dont l’originalité de la démarche créatrice n’écarte pas un regard critique porté sur notre monde contemporain, qu’il soit dans le rapport de l’homme à son l’environnement, ou dans son rapport au temps ou à sa mémoire.

YKK2      « Au fil du temps » est le titre de la proposition plastique de Yeun-Kyung Kim : au premier regard, elle offre une vision métaphorique du temps à l’échelle astronomique, telle une nuée de météorites dans un espace-temps à multiples dimensions, exprimée par le miroir au sol qui renvoie la structure vers le haut. Le haut, certes, plutôt que le ciel tant ces centaines de structures semblent flotter en état d’apesanteur dans l’espace central de la galerie… Et puis on s’approche, pour distinguer alors en ces  masses sombres autant de roses de cristal noir en suspension, la tête pointée vers le bas, leurs tiges sont des fils transparents qui émergent du plafond en stries de lumière. Ces sculptures de verre se jouent des lois de la gravitation, énigmatiques par leur présence muette mais révélatrices d’un monde intérieur de l’artiste qui identifie ces roses à multitude de souvenirs et pensées liés à sa mère ou à sa famille vivant en Corée. Elles flottent dans la dimension du souvenir, immuables, impérissables, et gardent la fraîcheur de l’instant comme si le temps s’était arrêté. L’installation se transmue en autant de souvenirs dans le ciel de la mémoire, dans un va-et- vient poétique de reflets vers le miroir au sol autour duquel tout spectateur peut projeter ses propres fantasmagories.

3ANGLES3gauche : Michèle PEROZENIAprès-midi d’automne en Mauricie, cristal, hauteur 110 cm, année 2011 –
droit : Martine LUTTRINGERLarmes d’Afrique, verre et os, année 2015

      Il est aussi question de temps dans l’œuvre de Michèle Perozeni, d’un temps inexorable, mais qui pèse de tout son poids sur une nature instable. Le regard qu’elle porte sur une nature immense et conquise par l’homme délivre à ses œuvres une forte beauté poétique où se mêle un questionnement citoyen d’ordre environnemental et écologique. Ces sculptures de verre qu’elle présente ici sont nées d’un projet autour de l’Inlandsis, plus communément appelée calotte glacière. Fascinée par les terres arctiques, elle a trouvé en ces lieux immenses matière d’inspiration à des sculptures à la blancheur immuable. Blancheur qui concentre en elle toute la lumière de ses forêts ou de ses bois sculptés de caribous dans une éternité de verre et de glace, et en fige à jamais le souvenir nostalgique d’une nature vierge, manière de contrecarrer le temps qui passe inexorablement. Mais en même temps, nous savons tous que c’est l’affaire d’une tentative improbable. « Forêt improbable » est le titre donnée par l’artiste à l’une de ses sculptures : il est très peu de chance de retrouver une virginité des premiers âges, une forêt non souillée d’une main de l’homme avide de pétrole et de profit. Une autre trace inconsciente de lecture serait-elle aussi pertinente devant ces cornes d’animaux fréquentes dans l’art préhistorique, ces végétaux primitifs sertis de glace ? Ce serait celle d’une ancestrale pratique chamanique de relation archaïque avec les esprits de la nature. Citons l’artiste : « Mon univers est une page blanche, démesurée, désertique, âpre comme l’Arctique où se dissimule l’histoire de ces bois de l’humanité. Mon cercle polaire est peuplé de bois de cervidés dont la forme végétale à elle seule semble sortir de nulle part. Métaphores puissantes qui peuplent nos vies intérieures, un souffle silencieux au cœur. Autant de questionnements sur la dualité des rapports que l’homme entretient avec lui-même, la nature et les forces qui l’habitent. »


3ANGLES4Michèle PEROZENIForêt improbable  – cristal, longueur 120 cm, année 2011.

      Une approche toute aussi personnelle d’un rapport au temps habite l’œuvre peinte et sculptée de Martine Luttringer. Les dessins sur papier qu’elle présente en vis à vis de ses sculptures, frottis sur papier ou à la mine de plomb, sont des œuvres en soi. Dessins et sculptures prennent en compte une thématique propre à l’artiste dans tous ses travaux : des végétaux, cornes, ossement d’animaux, plumes, oiseaux, branchages… Le verre sculpté est le réceptacle de cet univers, qu’il environne de ses formes transparentes ou colorées, qu’il protège aussi de sa matière noble et lumineuse en gardien d’un territoire secret et d’un temps figé. On pourrait voir dans cette association d’éléments organiques ou d’histoire naturelle une nostalgie des cabinets de curiosités des siècles passés, collectionnant sang de dragon ou squelette de salamandre, mais il n’en est rien. S’il est une nostalgie à trouver dans cette œuvre, elle est ordre purement intime et supplée par une poésie de l’objet qui lui appartient en propre.  » Arpenter un territoire au rythme de la marche et des découvertes : voilà l’origine de mon travail. Mes peintures et mes sculptures sont des traces affectives, cérébrales, documentaires, infinitésimales. C’est l’émotion qui me guide dans cet aller-retour entre l’extérieur et l’intérieur de ma sculpture, entre rêve, désir et vestiges traces du temps. C’est l’horreur délicieuse d’Eros et Thanatos.  » écrit-elle… Ses œuvres habitent le territoire de la fantasmagorie, elles sont composées au gré de ses déambulations, de ses envies et de ses rêves.

3ANGLES6Martine LUTTRINGER – Ailes, verre, plumes, roche et fil, 2015.

      Cette exposition qui rassemblent trois artistes autour de verre contemporain,  présentée par Géneviève Jeandon, directrice du Centre Jacques Brel, est une réussite et une découverte. Ne la manquez pas.
À noter qu’elle fera place ensuite à une autre exposition importante qui présentera l’œuvre photographique de Sabine Weiss, invitée d’honneur dans ce même lieu dans le cadre décentralisé de la 19e Biennale Internationale de l’image de Nancy.

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gauche : Martine LUTTRINGERVanité emplumée, verre, os,plume et fil, hauteur 40 cm, année 2015.
droit : Michèle PEROZENIGlaciaire dérive – paraffine, année 2016.
3 ANGLES, regards sur le verre contemporain – Centre Jacques Brel, 7, place de la Gare, 57100 – Thionville
Exposition du 25 février au 23 avril 2016 du mardi au dimanche de 14 à 18 h. Fermée les 25, 26 et 27 mars.
www.centre-jacques-brel.com
Tel : 03 82 56 12 43
Source photo :  ©yeun kyung Kim / ©mperezoni / ©mluttringer